Les Inrockuptibles

BAROQUE À DESSEIN

Dessinateu­r ornementis­te ultradoué qui collabore depuis de nombreuses années avec Hermès, Diptyque ou APC, PIERRE MARIE fait l’objet d’une exposition au Festival de mode et de photograph­ie d’Hyères, qui s’ouvre cette semaine.

- TEXTE Géraldine Sarratia PHOTO Elise Toïdé pour Les Inrockupti­bles

SI DES ESSEINTES, L’ESTHÈTE ET DÉCADENT PERSONNAGE DU ROMAN CULTE de Huysmans,

A rebours, se téléportai­t dans le Paris du XXIe siècle, trouverait-il refuge dans un atelier de deux étages sur cour dans le IXe arrondisse­ment ? Se définirait-il comme un dessinateu­r ornementis­te, spécialisé donc dans la création de motifs ? Vivrait-il dans un univers total, à son image, dans lequel chaque meuble, chaque tissu, chaque tapis, serait l’une de ses créations ? Voilà quelques-unes des questions qui surgissent lorsque vous pénétrez dans l’appartemen­t-atelier de Pierre Marie. Un lieu sublime, à la fois hors du temps et totalement de son époque, dans lequel chaque mètre carré de tissu, chaque objet, chaque imprimé traduit un goût à la fois exquis dans son raffinemen­t et puissant dans son affirmatio­n.

Ici, rien ou presque de minimal. Le motif règne en maître, sans partage, à l’image de ce “Flambeaux et Rubans”, imprimé aux teintes rouges et marine qui recouvre un des murs du salon (photo ci-contre). “Je l’ai développé pour la maison Verel de Belval. Le flambeau est comme une sorte de coeur enflammé, de panache de plume, de végétation luxuriante. Le ruban qui vient traverser le dessin est lui le lien, le liant. (...) Beaucoup de gens dont les goûts ont été moqués se réfugient dans un goût safe. Moi, ça fait deux ans et demi que je vis avec tous ces motifs autour de moi et je ne m’en lasse pas. Je ne vois pas pourquoi on s’en lasserait si c’est beau.”

Ce dessinateu­r ornementis­te (comme il se définit, donc) à la silhouette athlétique est, à 36 ans, l’un des plus reconnus de son milieu : il met, depuis un peu plus de dix ans, son talent au service de maisons telles qu’Hermès, Diptyque ou APC. Son style ? Baroque, nourri d’inspiratio­ns anciennes et surtout extrêmemen­t narratif. Le motif pour le motif, très peu pour lui : “Je pense qu’après des années où l’on a beaucoup été dans le fonctionna­lisme, le minimalism­e, il y a une envie de renouveau de l’ornement et du dessin. Mais il ne faut pas que cela soit gratuit. Il faut trouver quelles histoires on a envie de raconter.”

Enfant, Pierre Marie s’amourache des dessins animés de Walt Disney. Leurs couleurs, leurs personnage­s ultracarac­térisés qui se racontent en un geste, ou un détail, au gré du volant d’une robe qui tourne. “Je pensais vraiment que j’allais travailler pour Walt Disney !”, se souvient-il. Il grandit à Nogent-surMarne, où l’élèvent des parents “géniaux, un peu hippies après l’heure, motards”.

Sa mère porte des fleurs dans les cheveux, est institutri­ce, son père est ingénieur en informatiq­ue. L’ambiance est libre, ouverte, les production­s de chaque enfant sont valorisées. Avec le consenteme­nt de ses parents, le petit Pierre Marie dessine sur les murs de la maison. Alors qu’il est âgé de 4 ans, sa mère lui demande ce qu’il souhaite recevoir pour Noël. Sa réponse ? Un bureau. Et si possible, des feutres, qu’il emporte partout avec lui, même en été à la plage où il dessine de longues heures pendant que les autres jouent dans l’eau.

Un concours à l’entrée des Gobelins suffit à décevoir sa vocation précoce d’animateur : il réalise que la technicité prime, pas la créativité qui l’enchantait dans les Disney. Il se replie alors sur des études de graphisme. “C’était si peu satisfaisa­nt que cela m’a poussé à travailler et à proposer mes propres créations pendant que j’étais encore étudiant.” C’est le milieu des années 1990. Pierre Marie pique les T-shirts de son père, qu’il déchire et customise, se fabrique des manchons avec le tuyau d’aération d’un sèche-linge. “C’était techno !”, en rit-il aujourd’hui.

Avec ses potes, il traîne dans le quartier des Halles. L’UGC Ciné Cité, et son écran géant, vient d’ouvrir. Ils vont y voir Showgirls de Paul Verhoeven ou Kids de Larry Clark, puis filent au Shop, rue d’Argout, pour se tenir au courant des soirées qui se préparent.

Chaque jour, Pierre Marie remplit des carnets à dessins, son journal de bord illustré. Dans une boutique agnès b., il tombe sur une collection de T-shirts réalisés avec un artiste. Il s’adresse à une vendeuse et lui demande quelle est la marche à suivre pour faire de même. Un an plus tard, il est dans le bureau d’agnès b. Elle tient dans ses mains ses carnets de croquis, sur lesquels elle a disposé plein de Post-it. La collection est lancée. Pierre Marie a 19 ans et vient de signer sa première collaborat­ion.

Il en a 26 lorsqu’il décide de frapper à la porte d’Hermès pour solliciter un rendez-vous. “J’ai toujours su, en un sens, à qui pourrait plaire mes dessins.” Bali Barret, en charge des célèbres carrés, le reçoit. “C’est un objet qui a quelque chose de

“Un créateur de mode qui ne s’inspire que de la mode, ça me rappelle les familles de dégénérés où l’on se reproduit entre cousins” PIERRE MARIE

magique, qu’on porte autour du cou donc très intime, et qui, lorsqu’on le déploie, crie un goût, une appartenan­ce. J’aime cette dualité. C’est très narratif et décoratif”, poursuit-il. La maison le teste en lui demandant de réfléchir à un premier carré.

A partir d’une ombrelle faisant partie du catalogue maison, il invente un conte. L’histoire d’un prince solitaire qui n’est jamais sorti de son château et se perd. Il demande son chemin à un ermite qui lui dit : “Ecoute, je ne peux pas te téléporter mais je peux te confier cette ombrelle magique qui te ramènera chez toi à la fin du voyage.” Commence un périple aux quatre coins du monde et des points cardinaux, raconté en dessin dans le carré. A la fin, la petite figure qui orne la canne se transforme en une jeune femme, dont il tombe amoureux. Essai validé : le carré sera baptisé “L’Ombrelle magique”.

A la Villa Noailles, à l’occasion du

33e Festival de mode et de photograph­ie (lire encadré ci-contre), Pierre Marie présentera une collection de douze pyjamas, comme les douze signes du zodiaque. Il les a réalisés avec Punto Seta, un partenaire fabricant de tissu sur les rives du lac de Côme. “Ils font de l’imprimé jet d’encre et de super jacquards. Il y en aura six sur les douze. J’ai choisi le pyjama, un vêtement à la forme définie, fonctionne­l pour que l’on se concentre sur le dessin.”

Lui qui développe ces dernières temps un intérêt accru pour la décoration, la création de meubles et d’univers singuliers et autonomes serait-il tenté par l’idée d’une collection ? “Maintenant que j’ai les douze sous les yeux, j’avoue que je trouve ça tentant. Une marque unisexe, où dominerait l’idée du dessin, du motif, de l’histoire...”

Chaque été, Pierre Marie et son copain enfourchen­t leurs vélos et partent à la découverte des routes de France. L’été dernier, ils ont relié Pornic à Hendaye, 1 600 kilomètres en dix-sept jours, avec deux jours de stop au Pays basque. Pendant ces longues journées à vélo, il laisse son regard vagabonder sur ce qui l’entoure : paysages, lumières, couleurs. “J’ai toujours eu une sensibilit­é très forte pour la couleur. Pour créer, explique-t-il, il faut ouvrir son regard au maximum, embrasser l’horizon et puis ensuite tout oublier. Garder une approche naïve et intuitive.”

S’extraire des images internet et Pinterest, bannir l’auto-référentia­lité : “Un créateur de mode qui ne s’inspire que de la mode, ça me rappelle les familles de dégénérés où l’on se reproduit entre cousins. Il faut ouvrir. Si tu as envie de dessiner des robes, va dessiner des légumes à Rungis ! Il faut savoir se projeter.”

 ??  ?? Pierre Marie dans son appartemen­tatelier parisien
Pierre Marie dans son appartemen­tatelier parisien
 ??  ?? Travaux préparatoi­res pour la collection des douze pyjamas, inspirée par les signes du zodiaque, exposée à Hyères
Travaux préparatoi­res pour la collection des douze pyjamas, inspirée par les signes du zodiaque, exposée à Hyères
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France