Les Inrockuptibles

Portrait Parquet Courts

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Les Américains sont très, très en colère et le clament sur un cinquième album furieux

VOUS VOUS DOUTIEZ BIEN QU’ON ALLAIT LA POSER, CETTE QUESTION SUR LA MORT

DU ROCK ET LA FIN DES GUITARES, alors commençons par là. Austin Brown, le blond, et Andrew Savage, dit

“A. Savage”, le brun, les deux têtes pensantes de Parquet Courts, nous regardent d’un air sceptique, comme si nous venions de leur demander si le gin se mariait bien avec le tonic. “Ceux qui disent que le rock est mort ne font pas attention. Il y a plus de groupes de rock actuelleme­nt que jamais auparavant, s’emporte Andrew. Je ne crois pas que le rock devrait être à la même place que dans les seventies ou les nineties. Effectivem­ent, le rock mainstream meurt. Foo Fighters et Green Day sont des dinosaures. MTV ne va plus t’apporter le rock, il va falloir le trouver ailleurs.”

Dans Wide Awake! par exemple, leur cinquième album, furie punk-rock qui nous met deux, trois coups mérités dans le tibia. La patte de Danger Mouse, moitié de Gnarls Barkley et producteur inattendu, s’est faite discrète, enrobant la nervosité des New-Yorkais bien décidés à en découdre avec la politique, le monde, la vie. “Il est venu dans notre univers et non l’inverse”, martèle Andrew, leader agité, bourré d’une arrogante colère qu’il cherche moins à communique­r qu’à nous balancer en pleine tête. Andrew n’aime pas tellement les journalist­es. “‘Parle-moi de l’album, explique-moi le processus de création’… C’est là que ça devient chiant”, lâche-t-il. Bon.

C’est certaineme­nt pour s’épargner toute explicatio­n que le groupe a fait envoyer à tous les journalist­es les paroles de ses morceaux. Excellente décision qui nous permet de prendre la mesure de leur violence. Sur la bien nommée Violence, Andrew raconte la voir fleurir sur

“les lèvres des écureuils”, dans cette “forêt si dense et enracinée dans notre passé qu’elle nous donne envie de nous perdre dans son obscurité”, déplorant que “les chansons folk ne parlent pas des distribute­urs bancaires”. Notre traduction ne rend pas vraiment justice à son talent de lyricist qui a longtemps valu à Parquet Courts d’être (stupidemen­t) taxé de groupe rock intello, en raison de l’intense réflexion politique et métaphoriq­ue qui se dessinait derrière leur agressivit­é, comme si leur punk n’était pas assez bas du front pour avoir droit de cité.

Pourtant, du punk, Andrew Savage en dévore avec une constante avidité depuis ses 12 ans et la mixtape récupérée par son pote Mike auprès d’un élève de sa mère, prof de fac. Les deux gamins découvrent Dead Kennedys, Descendent­s, Misfits, Minor Threat, Crass, qui les mènent plus tard à Big Boys, Black Flag, Negative Approach… Austin, lui, est tombé dans le punk via un centre commercial qui abritait un disquaire.

“J’y ai trouvé une communauté de weirdos avec qui faire du skate, jouer de la musique…” Le temps a passé, l’amour est resté, intact, brutal. Mais attention, les références s’arrêtent là. “Je n’aime pas quand les journalist­es nous disent à quoi ressemble notre musique ! C’est très agaçant quand les gens te disent qui tu es… A la limite, on peut nous comparer à des groupes qui sont nos contempora­ins”, s’exclame Andrew.

C’est aux Etats-Unis que cette violence qui déchire leurs coeurs et leurs albums s’enracine. Andrew et Austin dénoncent les armes à feu, les injustices sociales et économique­s, les violences policières mais évitent soigneusem­ent de tomber dans un nihilisme flemmard. Tous deux sont “wide awake!”, bien réveillés, et bien décidés à secouer leurs concitoyen­s, à leur faire prendre conscience de leurs actes. Leur pire ennemi : le je-m’enfoutisme. Parquet Courts questionne, bouscule avec une exigence intellectu­elle doublée d’une insolence punk.

Ce qui ne les empêche pas de tenter quelques échappées pop : inviter un choeur d’enfants sur Death Will Bring Change ; conclure avec Tenderness, son piano et ces mots : “Like a junkie going cold, I need the fix of a little tenderness” (“Tel un junkie en manque, j’ai besoin d’un fix de tendresse”).

On n’en saura pas beaucoup plus. Ni Andrew ni Austin n’ont vraiment envie de s’attarder sur leur passé commun au Texas, leur rencontre à l’université, la création du groupe à Brooklyn en 2010 avec Max Savage (frère d’Andrew) à la batterie et Sean Yeaton à la basse, leurs escapades solo, le travail visuel qu’Andrew mène en parallèle. Finalement, ni l’un ni l’autre n’ont envie de parler à la place de leur album

Wide Awake! Peut-être ont-ils raison : c’est lui, le poing américain.

Album Wide Awake! (Rough Trade/ Beggars/Wagram)

Concerts Le 8 juillet à Hérouville-Saint-Clair (Festival Beauregard), le 20 à Biarritz (festival Biarritz en été)

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