Les Inrockuptibles

Folie douce

- JD Beauvallet

Son label s’appelle L’Eglise de la Petite Folie, et d’Arnaud Le Gouëfflec, on est devenu immensémen­t fou, dévot, grenouille de son bénitier. En l’espace d’une multitude d’albums, en faux solo ou en vrai collectif, le Breton est ainsi devenu une voix qui compte, qui accompagne, qui obsède. Avec lui, pas besoin de lecteur MP3, de Walkman, de playlist mobile : ses chansons se gravent irrémédiab­lement dans le cortex, dans toute leur douce gravité, leur élégance renfrognée, leur séduction revêche. On se surprend ainsi très régulièrem­ent à murmurer, à usage strictemen­t interne, ses récents Fleurs de Toussaint sous le parking aérien ou La Proie pour l’ombre, chants adultes et crevassés comme on en attendait dans ces coins de France depuis Miossec. Car les deux Bretons ont en commun d’avoir tordu leur langue, déformé leur grammaire, détourné les règles du français pour l’adapter à des musiques venues des Ouest, plus l’Amérique que l’Angleterre chez Le Gouëfflec. Qu’entend-on alors souffler et susurrer sur La Faveur de la nuit ? Léo Ferré qui aurait joué avec Smog ? Henri Calet qui prendrait le micro de Leonard Cohen ? Des tornades sèches qui arrachent les dents des morts ? Du granit pour faire le roc du krautrock ? On entend surtout une voix mâle en point, qui chante en gris la vie morose, la petite mécanique de nuit. On vous l’a bien vendu ? Vous voulez des mots choisis ? “Mieux vaut trouver la mort/Que de ne trouver rien/ Que de croire au destin/Et se fondre au décor.”

De telles fulgurance­s, de tels haïkus de bile, Arnaud Le Gouëfflec en éparpille depuis la nuit des temps dans une discograph­ie dont l’ampleur et les ramificati­ons donnent le vertige. Deux de ses récents albums, La Faveur de la nuit donc, mais aussi Deux fois dans le même fleuve, serviront diabolique­ment de porte d’entrée. Mais attention : il n’y a pas de sortie dans l’Eglise de la Petite Folie.

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Arnaud Le Gouëfflec
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