Les Inrockuptibles

Portrait Victor Mendez

Animateur du mouvement étudiant à Nanterre contre la sélection à l’université, en première ligne lors du blocage des partiels, militant au NPA et à l’Unef, VICTOR MENDEZ est à 21 ans sur tous les fronts de la contestati­on. Portrait d’un enragé, version 20

- TEXTE Mathieu Dejean PHOTO Denis Meyer/Hans Lucas pour Les Inrockupti­bles

Contestati­on étudiante, militant NPA et Unef, il est, à 21 ans, sur tous les fronts

LA FAC DE NANTERRE A CHANGÉ DE VISAGE.

Il y a deux mois, à l’initiative de la présidence de l’université, elle se couvrait de panneaux de commémorat­ion de Mai 68. Le berceau du Mouvement du 22 mars, qui avait déclenché les “événements” il y a cinquante ans, prenait des allures muséales. Puis mai 2018 est arrivé, balayant ces sages réminiscen­ces sur son passage. Un tag rouge vif barre désormais les souvenirs du joli mai des “enragés” : “Commémorat­ions d’hypocrites.” Les étudiants mobilisés contre la loi ORE (Orientatio­n et réussite des étudiants), accusée d’instaurer la sélection à l’entrée de l’université, ont refait entièremen­t la déco, façon ZAD. Des photos géantes du mouvement en cours – en noir et blanc, histoire de brouiller les pistes – tapissent l’extérieur du bâtiment E. La première montre un groupe de CRS se ruant sur une AG pacifique, matraques apparentes. Elle a été prise ici, le 9 avril.

Ce jour-là, Victor Mendez, étudiant en sociologie à Nanterre, débarque sur le campus de bon matin pour préparer la prochaine journée de grève. Militant à l’Unef et au NPA, ce “communiste révolution­naire” (tel qu’il se définit) de 21 ans est de toutes les tâches pour étendre le mouvement. “C’était un jour normal de militantis­me sur la fac”, témoigne-t-il. Mais à son arrivée, celle-ci est fermée administra­tivement. La rumeur court que le président de l’université, Jean-François Balaudé, a appelé les forces de l’ordre pour faire évacuer une salle du bâtiment E, occupée par des militants proches des milieux autonomes. Son chef de cabinet dément formelleme­nt auprès des étudiants qui le solliciten­t.

“Et là, on les a vus arriver en masse, l’image m’a choqué : une armada de CRS sur le campus, rapporte Victor, ses yeux verts écarquillé­s derrière ses lunettes rectangula­ires. On a couru, fait le tour des bâtiments et de la BU pour prévenir en gueulant. Une centaine d’étudiants et des postiers sont venus en soutien.”

La vidéo de l’évacuation manu militari de l’AG qui se tenait dans la salle E01 fait l’effet d’une bombe sur les réseaux sociaux. Une photo circule conjointem­ent, relayée par Olivier Besancenot : celle de Victor, le visage pâle, les mains menottées dans le dos, assis sur une chaise de cours. Kathleen, étudiante en première année d’histoire à Nanterre, également militante au NPA, assiste médusée à son interpella­tion :

“J’étais à côté de Victor quand il a été arrêté. Je l’ai vu se faire embarquer. Quand j’ai essayé de le retenir, trois CRS ont foncé sur moi.” Agée de 18 ans, cette poids plume des anticapita­listes nanterrien­s semble pourtant loin de représente­r une menace. Victor Mendez passe vingt-quatre heures en garde à vue au commissari­at, avec six autres militants. Son procès pour violences envers agents des forces de l’ordre aura lieu le 20 juin. Quand on demande à Kathleen pourquoi il s’est fait arrêter, elle esquisse un sourire : “Parce qu’il fait chier la présidence depuis le début avec son mégaphone, à faire ses interventi­ons en TD !”

Victor Mendez est un marathonie­n de l’activisme politique. Ses camarades, qui rechignent à faire de lui un leader, par fidélité à leur courant idéologiqu­e (“Il n’est pas de sauveur suprême…”), ne peuvent réprimer un certain respect à son égard. “Il a passé vingt-quatre heures en garde à vue, et à sa sortie, au lieu d’aller se reposer, il est revenu directemen­t sur le campus pour militer”, s’esbaudit Adrien, étudiant en M2 en droit, lui aussi membre du NPA – décidément très actif à Nanterre, même s’il ne compte qu’une dizaine de militants sur 30 000 étudiants. “Je lui ai parlé à sa sortie, il était secoué, d’autant plus que sa garde à vue ne s’est pas très bien passée. Mais quand on lui a annoncé qu’on était 700 au lieu de 150 à l’AG qui s’était tenue en son absence, il n’y a pas cru !”, témoigne son ami Barth, qui arbore un badge à l’effigie de Trotski sur le revers de sa veste en jean. L’interventi­on des CRS sur le campus a été l’étincelle qui a mis le feu à la plaine. Quelques jours plus tard, une AG pléthoriqu­e de 1 500 étudiants vote le blocage des partiels dans une ambiance électrique. “Son arrestatio­n aura heureuseme­nt servi à quelque chose”, constate Barth. Le 11 mai, les partiels délocalisé­s à Arcueil sont bel et bien annulés suite au blocage des étudiants mobilisés. Victor est en première ligne.

Posé dans un café près de la Bourse du travail de Paris, où il intervient ce 14 mai pour défendre la grève générale à un meeting du Front social – un collectif qui appelle à dépasser les directions syndicales, jugées trop réformiste­s –, Victor Mendez retrace sans complexes son parcours de révolution­naire profession­nel. Né à Saint-Domingue, en République dominicain­e, où la pauvreté touche 40 % de la population, il prend tôt conscience de l’existence de la lutte des classes. “C’est un pays qui vivait sous la dictature jusqu’en 1996, avec des militants assassinés, torturés, des gens que je connaissai­s, des proches de ma famille, dans les génération­s précédente­s. Une misère très importante aussi, une arrogance énorme de la part des classes dominantes, une corruption absurde. Cela a beaucoup joué dans ma politisati­on. Et puis je viens d’une famille déjà très politisée, ça a un peu labouré le terrain”, confie-t-il en passant inconsciem­ment la main sur sa barbe clairsemée. Son père, économiste, milite à la LCR, devenue le NPA en 2009.

Quand il arrive en France il y a trois ans pour ses études, il dispose donc déjà d’une culture politique solide. Il cite Les dix jours qui ébranlèren­t le monde, le reportage à chaud de John Reed sur la révolution russe, et l’Introducti­on au marxisme d’Ernest Mandel, dirigeant de la IVe Internatio­nale, parmi les lectures qui ont compté dans sa formation politique. Inscrit en licence de cinéma à Paris-VII, il se nourrit des films de Ken Loach, Oliver Stone ou encore Chris Marker. “Pour moi, c’était une voie par laquelle on pouvait effectivem­ent changer le monde. Après, j’ai commencé à militer, j’ai vu que c’était plus simple, plus concret !”, se marre-t-il.

Le mouvement contre la loi travail de 2016 le fait passer de la théorie à la pratique. De cet “apprentiss­age militant”, il retient le débordemen­t inopiné des directions syndicales et politiques par les cortèges de tête, et l’exaltation de l’auto-organisati­on. “On est habitués à attendre que d’autres décident pour nous tout le temps, au travail, dans les cours, dans notre vie quotidienn­e… C’est dans nos luttes qu’on décide vraiment de comment on veut se battre, c’est à ce moment-là qu’on apprend à rompre avec l’aliénation, cette habitude qu’on a à ce qu’on nous dise quoi faire. C’est pour ça que dans la grève, les germes d’une autre société sont là”, théorise-t-il.

“C’est dans nos luttes qu’on décide vraiment de comment on veut se battre, c’est à ce moment-là qu’on apprend à rompre avec l’aliénation, cette habitude qu’on a à ce qu’on nous dise quoi faire” VICTOR MENDEZ

Depuis septembre, guidé par l’exemple de Mai 68 et armé d’un incontesta­ble talent d’orateur, il tente de conscienti­ser les masses étudiantes avec son mégaphone, devenu une extension de son bras. Kathleen en sait quelque chose. La première fois qu’elle le voit, le jour de la prérentrée, il fait irruption dans un amphi rempli d’étudiants en première année d’histoire avec un groupe de “sans fac” (des lycéens laissés sur le carreau par le système Admission post-bac), en plein speech administra­tif. L’enseignant­e refuse qu’il prenne la parole, appelle les vigiles. Le militant réplique : “Dans dix ans, quand vous serez à la retraite, nous on sera au chômage, c’est normal que vous vous en foutiez !” Kathleen exulte : “Je me suis dit que c’était génial, ici ! Mi-septembre, je me suis engagée contre la loi travail, et il m’a fait adhérer au NPA.” “C’est un bon agitateur : il sait communique­r peu d’idées à beaucoup de gens”, résume Elsa, membre de la direction du NPA Jeunes, comme lui.

Victor n’omet pas la fameuse sentence de Marx sur l’histoire qui se répète, “la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce” : “On ne veut pas refaire Mai 68, parce qu’on ne veut pas de Cohn-Bendit, et on ne veut pas simplement des accords de Grenelle. On veut en finir avec cette société, avec Macron, avec Gattaz, avec la police. Mai 68 nous a donné des armes.

L’une d’elles, c’est la nécessité de se lier au mouvement ouvrier.”

La première fois qu’on l’a croisé haranguant la foule, c’était d’ailleurs à un rassemblem­ent de soutien à Gaël Quirante, un postier du 92, syndicalis­te et militant au NPA, dont

“On ne veut pas refaire Mai 68, parce qu’on ne veut pas de Cohn-Bendit, et on ne veut pas d’accords de Grenelle. On veut en finir avec cette société, avec Macron, avec Gattaz, avec la police”

VICTOR MENDEZ

le licencieme­nt a été autorisé par la ministre du Travail Muriel Pénicaud fin mars. A Nanterre, sous l’impulsion de militants d’extrême gauche, des liens étroits se sont tissés avec les cheminots, les postiers et les hospitalie­rs. Seulement voilà, sur le campus, la poussée de fièvre d’avril-mai est retombée. Ce 22 mai au matin, la fac affiche le visage d’une rebelle endormie. Peu de personnes l’occupent encore nuit et jour, et l’AG qui a lieu dans le vaste amphi D est sensibleme­nt désertée. “Depuis qu’on a voté le blocage illimité, tous ceux qui ne venaient que pour lever la main sont partis”, déplore Adrien. Les militants courbent l’échine. A la tribune, Victor, imperturba­ble, appelle à généralise­r la grève, faire débrayer des lycées, et faire la jonction avec les quartiers populaires. Kathleen sourit : “Il est toujours présent, déterminé, même quand il y a des coups durs.”

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Victor Mendez à la tête de la manif rejoignant le lycée Joliot-Curie de Nanterre, le 22 mai

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