Les Inrockuptibles

Série Better Things

Les deux premières saisons de BETTER THINGS arrivent en même temps sur Canal+ Séries. La chronique autobiogra­phique et sincère de la vie d’une mère (et fille) quinquagén­aire portée par sa tonitruant­e créatrice, actrice, scénariste et réalisatri­ce PAMELA A

- TEXTE Olivier Joyard

Les deux premières saisons arrivent, inspirées par la vie de sa tonitruant­e

créatrice et actrice, Pamela Adlon

AU COEUR DU GÉNÉRIQUE DE “BETTER THINGS”, TOURNÉ À L’ARRACHE DANS LES RUES

DE LOS ANGELES entre palmiers et marchands de glaces, le hurlement de Mother déchire l’air. Pour avoir le droit d’utiliser cette chanson de John Lennon et du Plastic Ono Band enregistré­e en 1970, la créatrice Pamela Adlon s’est fendue d’une lettre de huit pages à Yoko Ono, doublée d’une supplique presque embarrassa­nte à la chaîne FX, qui a fini par casser sa tirelire pour lui offrir ce supplément musical. Depuis ce moment-clé, Better Things s’est montrée à la hauteur du cadeau qui lui a été fait, en devenant l’une des meilleures nouveautés de ces deux dernières années, parfois discrète mais toujours habitée par une rage d’exister que toutes les séries contempora­ines n’ont pas.

Alors que le titre de la série est emprunté à celui d’un single tardif des Kinks, le choix de la chanson du générique ne ment pas. Il s’agit bien de dresser le portrait d’une mère. Mais une mère du genre que nous n’avions jamais vu comme héroïne – ou presque. Entourée de ses trois filles, dont le géniteur ne montre plus le bout de son nez, la quinquagén­aire Sam Fox doit se coltiner sa propre “mother” qui habite à deux maisons de là. Une présence plus angoissant­e que réconforta­nte, la grand-mère étant mentalemen­t instable, et aussi fragile qu’envahissan­te.

Cinq femmes de tous les âges occupent donc le devant de la scène, c’est assez rare pour être signalé. Les journées se suivent sous la chaleur lumineuse de Los Angeles. C’est le bordel dans la maison. Et il se passe quoi ? Il se passe ce que les meilleures séries à tendance “chronique” savent faire – le mot fait parfois horreur aux patron.ne.s de chaînes, mais qu’importe –, c’est-à-dire une sorte d’étalement doux et stimulant d’histoires quotidienn­es, à base de conversati­ons dans le salon, en voiture, au restaurant, de petites errances souvent comiques sans grand enjeu sinon celui de vivre.

Dans Better Things, tout respire le vécu, sans que cela ne se transforme en chantage naturalist­e déjà vu. Il faut dire que la vie de Pamela Adlon est déjà en soi un spectacle. Pour être plus précis, la créatrice-actrice-scénariste­réalisatri­ce est immergée dans le monde du spectacle depuis plusieurs décennies. Née à Albany, au nord de l’Etat de New York, d’un père producteur de télé, la minuscule brune a débuté dès l’âge de 9 ans en tant qu’actrice (notamment dans Grease 2 !) avant de connaître une longue pause quasiment jusqu’à ses 30 ans, moment où elle s’est spécialisé­e avec succès dans le travail de comédienne de voix. Pamela Adlon vit grâce à elle depuis au moins la fin des années 1990.

Son travail dans King of the Hill (Mike Judge, 1997-2010) lui a même rapporté un Emmy Award, avant qu’elle ne retrouve un rôle impliquant l’ensemble de son corps et son sens du timing imparable dans Californic­ation, auprès de David Duchovny. Cette voix, à la fois rauque et pleine d’énergie, pour tout dire exceptionn­elle, contribue grandement au charme et à la crudité de Better Things. Ses intonation­s claironnan­tes transperce­nt l’écran à intervalle­s réguliers, souvent pour engueuler sa fille ado qui assure côté n’importe quoi. Cette voix tonitruant­e lui sert aussi à échanger, discuter,

argumenter lors de ses rencontres avec des hommes, moments qu’elle transforme tôt ou tard en joutes verbales étirées et fascinante­s. Le troisième épisode de la deuxième saison, l’un des plus beaux moments de télévision vus depuis longtemps, reformule brillammen­t le genre pourtant ultrabalis­é de la comédie romantique. Il illustre une conception de la vie comme éternelle négociatio­n avec le réel. La série filme ce mouvement de balancier le plus ardemment possible.

La dimension autobiogra­phique de Better Things n’est plus à prouver, Pamela Adlon s’inspirant de sa propre expérience, notamment avec ses filles, dans tous les épisodes. Une manière d’assumer son intimité à l’écran, après l’avoir dévoilée chez Louis C.K., auprès de qui elle a joué le premier rôle féminin de la série mythique Louie pendant des années. Sur cette lancée, Adlon et Louis C.K. – meilleurs amis il y a encore quelques mois – ont créé ensemble Better Things. Le stand-uppeurscén­ariste-réalisateu­r est crédité à l’écriture de dix-neuf épisodes sur les vingt que comptent les deux premières saisons. Même si la série a toujours été celle de Pamela Adlon, Louis C.K. fut le principal collaborat­eur de cette dernière jusqu’au mois de novembre 2017, quand un article du NewYork Times a révélé des faits d’agression sexuelle commis par l’intéressé sur de jeunes comiques féminines – et très vite confirmés par lui.

L’épisode 9 de la deuxième saison venait d’être diffusé. Quelques jours plus tard, le dixième épisode passait avec un générique modifié, le crédit de producteur principal accordé à Louis C.K. effacé. Depuis, Pamela Adlon a coupé les ponts avec lui. Elle s’exprime très peu sur l’affaire après avoir dit sa déception, et travaille seule à la troisième saison. Après avoir réalisé l’ensemble des épisodes de la deuxième, son émancipati­on va devenir complète. Une histoire finalement cohérente avec la série, l’une des plus féministes jamais arrivées sur nos écrans.

Better Things saisons 1 et 2

Le mercredi à 20 h 50, Canal+ Séries. Disponible en intégralit­é sur le replay

Dans Better Things, tout respire le vécu, sans que cela ne se transforme en chantage naturalist­e déjà vu

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Pamela Adlon (Sam) avec Hannah Alligood (Frankie, l’une de ses trois filles)

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