Les Inrockuptibles

Médias

Confidenti­els mais reconnus, drôles et décalés, les CAHIERS DU FOOTBALL ont connu des hauts et des bas depuis leur création en 1997. Retour sur une aventure qui a, notamment, inspiré So Foot.

- Julien Rebucci

Les Cahiers du football, nouvelle formule

JEUDI 12 AVRIL, QUELQUES MINUTES APRÈS LE COUP DE SIFFLET FINAL d’un match de coupe d’Europe opposant l’Olympique de Marseille au RB Leipzig, le présentate­ur Denis Balbir dérape. Hors antenne, mais toujours relié à son micro, il tient des propos homophobes à l’encontre des joueurs allemands. La séquence fuite sur internet et le présentate­ur se retrouve mis à pied le lendemain par W9. Au même moment, à des centaines de kilomètres de Marseille, l’équipe de rédaction des Cahiers du football boucle le premier numéro de leur nouvelle revue. Ironie du sort : neuf ans plus tôt, le “magazine de foot et d’eau fraîche”, référence incontourn­able de tous les amoureux du ballon rond, était condamné en appel à verser 3 000 euros de dommages et intérêts à Denis Balbir après une plainte pour “injure publique”. “C’est un peu surréalist­e que ce soit arrivé le même soir, s’amuse Jérôme Latta, l’un des fondateurs des Cahiers, dans un café du XXe arrondisse­ment. Après, nous ne sommes pas dans une logique revanchard­e...”

Cette parution ouvre un nouveau chapitre d’une histoire débutée sur le net vingt ans plus tôt, en décembre 1997 : “On avait le sentiment que les médias sportifs manquaient d’amour, d’humour et de sens critique. La création des Cahiers a procédé d’une frustratio­n, témoigne Latta, seul rescapé de l’aventure initiale. On s’est lancés à une époque charnière, juste après l’arrêt Bosman (instaurant la libre circulatio­n des joueurs en Europe – ndlr). Nos confrères ont alors tout juste été spectateur­s de ces évolutions, sans produire le moindre regard critique. Alors que des médias comme L’Equipe ont très souvent tenu un discours de défense des valeurs du sport. Des valeurs attaquées frontaleme­nt par le développem­ent du foot business, cherchant à tout prix à annihiler l’aléa sportif, l’essence même du jeu !”

De 1997 à 2003, l’affluence du site grossit grâce à une communauté d’amoureux qui ne se reconnaît pas dans le classicism­e de la presse sportive. “Il y avait un défaut de culture tactique et d’une approche approfondi­e du jeu”, estime Gilles Juan, autre membre de la rédaction. Avant l’explosion des réseaux sociaux, ces habitués débattent sur les différents fils de discussion du forum des Cahiers. On y parle de foot sous tous les angles, mais aussi de politique et de littératur­e. Forte de cet élan, une version mensuelle des Cahiers est lancée en kiosque le 4 novembre 2003. La question posée sur la première une a des allures de quête du Graal pour ces utopistes du ballon rond : “Un autre football est-il possible ?”

“Nos vingt ans d’histoire, ce sont les vingt années d’échec de ce slogan en quelque sorte, sourit aujourd’hui Latta. Les évolutions que nous craignions et que nous avons critiquées sont quasiment toutes arrivées. Si les deux dernières décennies ont en effet vu l’essor du foot business, l’apport des Cahiers au traitement médiatique du sport en France est indéniable.” De la naissance de So Foot à l’After Foot sur RMC, en passant par une myriade de sites thématique­s spécialisé­s tenus le plus souvent par des passionnés, les Cahiers semblent avoir remporté une victoire culturelle. Le journalist­e

En septembre 2017, un nouveau comité de rédaction est mis sur pied et les “Cahiers” reparaisse­nt en librairie

Damien Dole, qui a interrogé plusieurs des fondateurs de ces sites pour la série “Fanzines Zone” sur Libération, témoigne : “Tous m’ont cité les Cahiers du football en modèle, pour le format ou le ton. Ils ont été des pionniers dans la volonté de traiter du football de façon différente.” “Ils font partie du paysage français, acquiesce le taulier de l’After Foot, Gilbert Brisbois. Ils ont réussi au fil du temps à inventer un ton, un humour et un format qui marchent.”

A l’image du mythique Ballon de plomb, récompensa­nt le joueur le plus décevant de l’année, génial pied de nez au sésame doré délivré par la Fifa, ou de rubriques entrées dans la postérité comme le Diaporama ou l’Agence Transe Presse.

Malgré un succès d’estime, la déclinaiso­n papier des Cahiers tourne court après le 43e numéro en juin 2009. Le 28 novembre de la même année, la sentence tombe sur le site internet : “Merci de cette fidélité qui nous a permis de réaliser un magazine dont, pour éteint qu’il soit désormais, nous avons été très fiers et qui ressemblai­t de très près à celui que nous rêvions de faire.” Dix ans plus tard, Jérôme Latta complète : “J’ai moins ressenti l’arrêt du magazine comme un échec que comme un exploit : le fait d’avoir réussi à en sortir 43 numéros.” Si le site continue de tourner, Jérôme Latta rumine la déception liée à la disparitio­n d’une déclinaiso­n “physique” des Cahiers.

Il nous révèle ainsi que le projet d’une revue distribuée en librairie (sur le modèle d’Undici en Italie ou de Líbéro en Espagne) trottait déjà dans sa tête à l’époque du magazine. Le projet reprend vie en septembre 2017 lorsqu’un nouveau comité de rédaction est mis sur pied, composé de Jérôme Latta et de fidèles compagnons de route.

Ce 31 mai, ils lancent le premier numéro de cette nouvelle revue, aux mensuratio­ns qui laissent rêveur :

164 pages, 730 grammes de football, trois parutions par an, un prix de vente de 18 euros et une diffusion en librairie. La trésorerie récoltée permet, selon Jérôme Latta – qui a lâché son poste de rédacteur à la revue Regards –, d’assurer trois numéros, trésorerie à laquelle il faut ajouter les bénéfices recueillis lors d’une opération réussie de crowdfundi­ng (l’objectif des 1094 abonnement­s atteint, ils en espèrent désormais un millier). De quoi rémunérer les rédacteurs, les illustrate­urs et les photograph­es alors que le comité de rédaction ne se versera aucun salaire dans l’immédiat.

Au menu de ce premier numéro : une passionnan­te interview de Raí, l’ancien rayonnant numéro 10 du PSG, mais aussi un reportage à Bondy sur les traces de Kylian Mbappé, un autre à Buenos Aires, la capitale argentine aux multiples clubs, et un énorme dossier sur la “beauté” du football. “Il y a vingt ans, nous avons commis l’imprudence de proclamer qu’un autre football était possible, conclut Jérôme Latta. Nous avons au moins montré qu’il était possible de parler de football autrement, et c’est notre ambition avec cette nouvelle revue.”

Cahiers du football N° 1, nouvelle formule en librairie le 31 mai, 18 €

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