Les Inrockuptibles

Héros

- Pierre Siankowski

La scène a défilé sous nos yeux ébahis tout le week-end. Nous sommes à Paris, rue Marx-Dormoy, XVIIIe arrondisse­ment. Un enfant de 4 ans est suspendu dans le vide à la seule force de ses bras, accroché à un balcon du quatrième étage, sous le regard de voisins qu’une séparation empêche d’approcher. Dans la rue, des gens se sont placés à la verticale de l’enfant au cas où celui-ci tomberait. D’autres ont décidé d’appeler la police. Mais tout le monde semble impuissant. Soudain, un homme décide, façon Spider-Man, d’escalader la façade à mains nues pour finalement arriver à la hauteur du petit et le tirer d’affaires.

L’acte, et c’est le mot qui est inscrit sur toutes les lèvres, est tout simplement héroïque. On apprend que l’homme a 22 ans, qu’il s’appelle Mamoudou Gassama et que c’est un jeune sans-papiers venu du Mali. Pour saluer l’héroïsme du jeune homme, Emmanuel Macron a choisi dans la foulée de lui accorder la nationalit­é française et de lui permettre d’intégrer le service civique des sapeurs-pompiers.

Bien entendu, Gassama est un héros, et son acte – d’un courage et d’une pulsion de vie exceptionn­els – est digne de la plus grande admiration, d’un respect sans bornes. La question que l’on peut poser, pourtant, et qui dépasse son acte, est la suivante : faut-il, en France, sauver la vie d’un enfant en grimpant sur la façade d’un immeuble pour être digne d’obtenir la nationalit­é française ? Est-ce aux autorités françaises de distribuer les bons points de l’héroïsme alors que ces milliers d’hommes et de femmes, qui gagnent chaque jour l’Europe au péril de leur vie (c’est d’ailleurs le cas de Gassama, qui a dû traverser le Burkina Faso, le Niger puis la Libye avant de prendre un bateau pour la France) pour mener une existence sereine, sont tous à leur façon auteurs d’un autre héroïsme que notre pays feint d’ignorer.

L’acte de Mamoudou Gassama vient détruire le discours spongieux et dégoûtant de ceux qui ressassent l’éternel argument de la “misère du monde”, des “quotas” ou autres stupidités. Il vient rappeler que le courage n’est pas forcément du côté de ceux qu’on croit, et que c’est avec un oeil admiratif que l’on doit considérer ces héros, tous ces héros, qui ont choisi de quitter leur pays et de remettre leur existence en jeu pour tenter d’obtenir le droit de mener une vie meilleure, ailleurs et loin de chez eux.

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Paris XVIIIe, le 26 mai
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