Les Inrockuptibles

La voix de Jorja, d’une pureté affolante, lui évite de tomber dans la kitscherie r’n’b et élève même son album au rang de classique

- En Une Jorja Smith

“Ah bon, pourquoi ça ? – Parce qu’ils sont toujours après nous.

Je n’ai rien fait mais ils sont quand même sur mon dos. Qu’ils aillent se faire foutre.” Et cet autre moment où deux amis passent la voir et oublient, sciemment ou non, un sac : elle y découvre un cran d’arrêt, en sort la lame, panique, le lave, le remet dans le sac. “J’ai commencé à penser au fait de se sentir coupable, de ne pas avoir la conscience tranquille alors que l’on n’a rien fait…”

Ainsi naît Blue Lights, premier single, premier succès, qu’elle sort en 2015. Le morceau, produit par Joyce, déploie une écriture percutante et se pose en réponse au Sirens de Dizzee Rascal, qu’il sample. “Ne cours pas lorsque tu entends les sirènes/Tu ne devrais pas courir car les sirènes ne viennent pas pour toi/Qu’as-tu fait ?/Tu es allé à l’école ce jour-là/Tu étais un peu en retard mais c’était lundi/On t’a retenu après les cours pour avoir répondu/Tu t’es excusé, quel mal à ça.” On retrouve la problémati­que des violences policières racistes, motif récurrent dans le rap, du gangsta des années 1990 aux albums politiques de Kendrick Lamar.

“A un moment, tous les événements grime ont été annulés, fermés au Royaume-Uni, parce que tous ceux qui les organisaie­nt étaient noirs…”, rappelle-t-elle. La faute au “Form 696”, un formulaire controvers­é mais rendu obligatoir­e que devaient remplir promoteurs et organisate­urs d’événements pour obtenir l’autorisati­on de la police britanniqu­e. Devaient être indiqués les noms, téléphones, adresses des artistes mais aussi le type de musique joué ainsi que le public visé… Il disparaîtr­a en 2017.

Contrairem­ent à l’énergique Sirens de Dizzee Rascal,

Blue Lights nage dans la mélancolie, sentiment qui embrasse le premier album de Jorja Smith alors que ses fans lui avaient réclamé des morceaux up-tempo. “Je n’allais pas le faire parce que les gens le voulaient. Je compose, je sors de la musique, je donne des concerts. Je me donne déjà assez…” L’album ne fait pas dans la rapidité mais n’en est pas morose pour autant.

La voix de Jorja, d’une pureté affolante, lui évite de tomber dans la kitscherie r’n’b et l’élève même au rang de classique.

Il a pourtant été construit de façon déconstrui­te, Jorja ayant rassemblé ses morceaux préférés parmi tous ceux accumulés depuis ses 16 ans. Etonnammen­t, la cohérence est au rendezvous. Tous les titres trouvent leur place et assurent l’équilibre entre sensualité, assurance, breaks, mélodies, beats, influences diverses et variées. Jorja fait le lien entre les chanteuses r’n’b à voix et les prods rap plus énervées, entre SZA et Stormzy.

Tout risque d’aller désormais très vite pour celle qui a été auréolée du Prix de la critique aux prestigieu­x Brit Awards 2018. Parmi les précédents lauréats figurent Adele et Sam Smith. Autant dire qu’une voie royale s’ouvre à Jorja, elle qui postait ses vidéos maison sur YouTube entre deux services au Starbucks où elle fut employée. Elle assure ne pas être effrayée par la rapidité de son succès, même si elle trouve ça “un peu fou”, et compte bien se tenir relativeme­nt éloignée des réseaux sociaux qui eux aussi rendent les gens “un peu fous”. “Je ne pense pas trop au futur, je vis mon rêve”, conclut-elle. On vit dans le présent à 20 ans.

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