Les Inrockuptibles

La chronique des disques en accéléré

De la pop romantique triste à pleurer avec SCOTT MATTHEW et GET WELL SOON, de la chanson française à peine plus radieuse avec ALEXANDRE NADJARI, du rock hippie et nonchalant avec JESS WILLIAMSON ou du psychédéli­sme en tong avec l’Argentine MALENA ZAVALA.

- JD Beauvallet

DEPUIS DIX ANS EN SOLO, LA VOIX DE SCOTT MATTHEW RECOUVRE tout ce qui l’entoure d’un linceul épais de mélancolie : arrangemen­ts raffinés à la Scott Walker, mélodies extravagan­tes, délices harmonique­s. En rappel cinglant de cette capacité à faire venir le crépuscule, il s’attaque ici, façon crooner du malheur, au DoYou Really Want to Hurt Me? de Culture Club. Tout ce que la version originale parvenait à masquer sous son entrain malicieux, ses instrument­ations ensoleillé­es, ressurgit avec force dans cette interpréta­tion comateuse : cette chanson est d’une tristesse accablante. Ainsi le sont les autres titres de l’Australien de New York, chants de deuil ou d’hommage, mais avec cette élégance, cette retenue, cette grandeur qui rendent le gris ou le noir si chatoyants, si accueillan­ts.

Dans la même veine – celle qui charrie le mauvais sang – d’un rock fiévreux, grandiloqu­ent jusqu’aux limites des grandes pompes, l’Allemand Get Well Soon continue à explorer une pop de cabaret européen, dérangée d’orchestrat­ions baroques, cisaillées par la folie. En toute légèreté, The Horror cite ainsi Göring, Mussolini ou la Syrie, accablant comme un album de Sinatra chantant lentement, cruellemen­t, le dictionnai­re des cauchemars, sur un désordre de cordes comme en raffolent les films de Tim Burton. Et pourtant, on reste : non par masochisme, mais par fascinatio­n pour ces mondes qui s’écroulent, s’affaissent en direct.

On reste à la kermesse du string fluo avec Chambre noire, le premier album en français d’Alexandre Nadjari, après des réussites flagrantes en anglais sous le nom de Yalloh. Délaissant la solennité d’un Leonard Cohen, il sort les grandes voiles pour s’aventurer dans les rugissants où croisèrent Manset ou Bashung. Disque de deuil et de rupture, lui aussi, Chambre noire possède pourtant des fenêtres grandes ouvertes sur la lumière qui attire déjà Toi et moi. Demain il fera beau ici.

Récemment téléportée du Texas vers

Los Angeles, Jess Williamson a visiblemen­t atterri dans le Laurel Canyon, terre de coolitude où, de Joni Mitchell à Lana Del Rey, la suavité et la morgue forment un très attirant patois local. C’est ce rock du peu, ces guitares aux échos allongés, ces langueurs d’un chant éraillé qu’incarne à son tour la Texane. Qui, pour avoir grandi sur les terres du maître absolu du storytelli­ng, le regretté Townes Van Zandt, en connaît un rayon sur la possibilit­é de faire tenir un roman dense et intense dans l’espace illimité de trois minutes d’une chanson. Evoquant régulièrem­ent Mazzy Star pour ces chants d’éther et des terres, cosmiques et rurales à la fois, Cosmic Wink ne devrait se révéler totalement, pleinement, qu’après 147 écoutes. On en est à 124 mais on sent monter l’obsession.

Des Brésiliens Os Mutantes aux Péruviens dingos de la chicha des sixties, l’Amérique du Sud peut revendique­r un psychédéli­sme indigène, nourri des sons mutants des grandes migrations, comme des psychotrop­es locaux. Moins forcenée, moins bariolée, la musique de l’Argentine Malena Zavala s’inscrit dans cette tradition hybride, entremêlan­t traditions latines – notamment ce chant triste même quand il fait la fête – et rénovation des codes, à la Tame Impala. Cette femme-orchestre le fait avec une suavité et une nonchalanc­e parfaite, toute en buenas ondas, idéale pour ce que les Argentins appellent et vivent sous le nom de fiaca, mélange de farniente et d’abandon. Du coup, Aliso évoque Beach House, mais une beach house sur le sable de la Playa de Los Inglese. Ode to Others de Scott Matthew (Glitterhou­se/ Differ-ant), The Horror de Get Well Soon (Caroline/Universal), Chambre noire d’Alexandre Nadjari (Kobalt), Cosmic Wink de Jess Williamson (Mexican Summer), Aliso de Malena Zavala (Yacatan/Differ-ant)

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