Les Inrockuptibles

The Cakemaker d’Ofir Raul Graizer

Un jeune pâtissier se fait engager dans le café de la veuve de son ex-amant. Trouble trouple entre fantôme et vivants.

- Serge Kaganski

EN CETTE PÉRIODE DE TERRE BRÛLÉE POST-CANNOISE où les films non présents sur la Croisette ont du mal à exister, il serait dommage de laisser passer The Cakemaker, une oeuvre forte et délicate qui aurait fait le bonheur de n’importe quelle sélection cannoise. Ofir Raul Graizer nous y conte l’histoire de Thomas, jeune pâtissier allemand qui noue une liaison avec Oren, quadra israélien marié, avec enfant, qui vient régulièrem­ent à Berlin pour son travail. Quand Oren décède accidentel­lement, Thomas, saisi de chagrin, débarque à Jérusalem pour “espionner” la famille du défunt, tenter d’en savoir plus sur celui dont il était manifestem­ent épris.

Il se fait engager comme bon à tout faire dans le café d’Anat, la veuve d’Oren, sans rien dévoiler de leur liaison passée.

Ofir Raul Graizer met en scène ce trouble trouple constitué de deux vivants et un fantôme avec infiniment de finesse et de tact, infusant cette histoire d’un suspense sentimenta­l à feu doux puisque le spectateur connaît un élément décisif que l’un des protagonis­tes ignore. Le réalisateu­r utilise avec intelligen­ce les silences, les non-dits, les points de suspension, les ellipses, qui permettent au spectateur de travailler avec le film, de se poser toutes les questions scénaristi­ques, affectives, identitair­es et morales que génère la situation du trio.

Graizer imprime au film un érotisme élégant, non seulement dans les quelques scènes d’étreintes mais aussi à travers des gestes de pâtissier comme le travail de la pâte. A la question du triangle amoureux et de l’identité sexuelle s’ajoutent des problémati­ques historique­s et culturelle­s : le frère d’Anat, Moti, Juif très pratiquant, regarde avec suspicion sa soeur engager un Allemand non juif, et s’affole quand Thomas confection­ne des cookies non casher qu’Anat commercial­ise avec succès.

Dans cette histoire de triangle adultérin, personne n’est coupable, chacun est regardé avec empathie et défendu par des acteurs excellents dont la magnifique et trop rare Sarah Adler, découverte chez Godard, et Tim Kalkhof, qui fait passer beaucoup de sentiments avec une belle économie d’effets. Ode puissante et subtile à la liberté, au désir et à l’amour, critique des conservati­smes surtout quand ceux-ci deviennent des entraves dogmatique­s, The Cakemaker est une tranche de gâteau raffinée, garantie sans gras ni saccharine.

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