Les Inrockuptibles

La nouvelle Eve

- Olivier Joyard

“Est-ce que tu es une méchante ?”

– “Ben ouais.” Celle qui répond avec une arrogance haut perchée à la préado qu’elle vient d’enlever (plus tard, elle tuera son père…) s’appelle Villanelle. Dans le premier épisode de Killing Eve, l’un des gestes inauguraux de ce personnage ébouriffan­t consistait à faire tomber gratuiteme­nt la glace d’une gamine avec qui elle avait échangé quelques regards faussement complices. Une introducti­on parfaite. La haine amusée des enfants l’a d’ailleurs poursuivie dans l’ensemble des huit épisodes de ce qu’il faut bien appeler la secousse sérielle du printemps. Adapté des romans de Luke Jennings, passé entre les mains expertes de Phoebe Waller-Bridge (l’intense révélation de Fleabag, dont on attend la deuxième saison pour 2019), ce remix hurlant de fiction d’espionnage a inventé l’une des figures féminines les plus étonnantes de ces dernières années pourtant riches. Avec June de

The Handmaid’s Tale, Villanelle forme un duo imaginaire de victime et de bourreau, jouant évidemment le rôle du bourreau. Car Villanelle est une tueuse effrayante, employée par une organisati­on secrète internatio­nale pour assassiner des cibles haut placées, un job dans lequel elle excelle. Son quotidien voyageur et violent l’emmène de Toscane en Russie, elle castre des hommes même quand on ne lui demande pas de le faire, range ses balles de pistolets à côté de ses tampons pour être tout à fait claire, expose ses manques affectifs abyssaux avec un sourire craquant et ne s’excuse jamais de rien, surtout pas de prendre du plaisir à tuer.

Jodie Comer, la native de Liverpool qui personnifi­e Villanelle avec une férocité jouissive, nous fait le même effet qu’une autre actrice qui jouait une espionne compliquée : Jennifer Garner – Sydney Bristow dans Alias, circa les années 2000. Une question d’intensité permanente du regard. Mais alors que Sydney réglait ses problèmes de papa et de maman et restait du côté du bien, Villanelle sent la mort. Même si elle fuit ceux qui la traquent, elle porte moins de masques que son aînée, incarnant la différence d’approche entre une héroïne féministe d’aujourd’hui, alors que la mise en scène de la violence des femmes devient nécessaire, et des schémas plus anciens. Pour couronner le tout, Villanelle a une amie-ennemie, un genre d’alter ego brûlant, en la personne d’une enquêtrice du MI-5 – merveilleu­se Sandra Oh, ex- Grey’s Anatomy. La brune et la blonde ne sont pas meilleures potes, leur relation dépasse ce que nous avons vu sur petit écran depuis des lustres. Elles se haïssent et s’aiment à mort, jusqu’à la mémorable scène finale de cette saison excitante et brutale.

Il y aura un avant et un après Killing Eve.

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