Les Inrockuptibles

Le réfractair­e

- Fabienne Arvers

Créée en France lors du Printemps des comédiens, l’adaptation du Procès de Kafka par KRYSTIAN LUPA n’épargne pas l’actuel pouvoir autoritair­e polonais. Un ouvrage qui vient de paraître donne à voir la place du dessin dans l’imaginaire de cet éternel insoumis.

DIRIGÉ PAR AGNIESZKA ZGIEB, CE LIVRE CONSACRÉ À KRYSTIAN LUPA nous fait entrer de plain-pied dans l’univers pictural de l’artiste polonais, formé à l’Académie des beaux-arts de Cracovie et à l’Ecole nationale de cinéma de Lodz, avant de s’inscrire à l’Ecole nationale supérieure de théâtre de Cracovie.

Le dessin accompagne l’imaginaire de Lupa depuis son enfance. C’est dans l’espace blanc de la feuille que sa main élabore le plan d’un pays mythique, Juskunia, dont il dessine sans relâche les rues de sa capitale, Jelo. Un moyen efficace d’y “mener une vraie vie de fugitif” et de fuir l’autoritari­sme du père, professeur de langues, aussi tyrannique avec ses élèves que dans sa famille. Krystian Lupa crée même une langue secrète pour Juskunia, qui lui permet in extremis d’échapper à la colère paternelle lorsque celui-ci tombe sur un texte très érotique écrit à l’adolescenc­e auquel il ne comprend pas un mot !

Le lien entre Juskunia et le théâtre que fabrique Krystian Lupa ne s’est jamais rompu, de même que celui entre le dessin et la création scénique. Dans le texte d’ouverture du livre, “Dessinateu­r de la pensée”, Krystian Lupa nous éclaire sur ce pan essentiel de sa créativité : “J’écris pour penser, je dessine pour imaginer… Parce qu’il est plus important de provoquer un processus de recherche d’intuitions insaisissa­bles cachées quelque part entre le cerveau et le corps que d’inscrire, d’immortalis­er notre imaginaire sur une feuille de papier ou un écran interactif. Ce qu’on cherche le plus est ce qui est le plus caché. (…) Enfant, le dessin était pour toi une provocatio­n qui te servait à maintenir en vie l’imaginaire, à le modifier et traverser ses moments difficiles. Et cela t’es resté, d’une certaine manière. Tu n’es pas un plasticien, tu es un rêveur qui dessine…”

Dans un entretien avec Fabienne Darge, le metteur en scène relate avec humour son enfance et sa formation artistique. On y découvre son irréductib­le insoumissi­on à l’arbitraire, ses premières expérience­s de théâtre dans les années 1970 à Jelenia Gora avec un groupe “de dingues, de vrais fous” vivant ensemble 24 heures sur 24. “Nous étions une sorte de communauté sexuelle, amoureuse, mythique, mystique.”

Un plaisir allant rarement seul, le livre regorge de reproducti­ons des croquis, dessins de costumes et de scénograph­ies, plans de Juskania et de photos, qui révèlent un artiste accompli qui a su rester toute sa vie “le seigneur de l’utopie de (son) enfance”. L’expression “enfance de l’art” trouve ici son incarnatio­n la plus juste…

“J’écris pour penser, je dessine pour imaginer”

KRYSTIAN LUPA

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