Les Inrockuptibles

HEDY LAMARR Une actrice sublime, une scientifiq­ue géniale

Quelques mois après la réédition de ses mémoires, un documentai­re retrace l’itinéraire fascinant d’une star hollywoodi­enne brillante chercheuse scientifiq­ue.

- Hélène Frappat

UNE ÉNIGME, POUR NE PAS DIRE UN FAUX PROBLÈME, hante le cerveau phallocrat­e : peut-on (a-t-on le droit) d’être belle et intelligen­te ? L’énigme n’a de sens qu’au féminin et, dans toute son absurdité, sa violence existentie­lle et sociale, résume la star Hedy Lamarr, élue “plus belle femme du monde” à Hollywood dans les années 1940 et qui aurait donc dû être la plus idiote.

Hedy Lamarr: from Extase to Wifi, produit par Susan Sarandon, vise moins à ressuscite­r une actrice injustemen­t oubliée (malgré ses rôles pour Cecil B. DeMille, Jacques Tourneur, Edgar Ulmer) qu’à rétablir la complexité de celle qui souffrait de devoir se cacher derrière “son masque”, ce visage sublime qui rendait ses interlocut­eurs silencieux, la privant elle aussi de parole. “N’importe quelle femme peut avoir du glamour. Il suffit de se tenir tranquille et d’avoir l’air idiot.” Sur cette citation s’ouvre le portrait d’Hedwig Eva Maria Kiesler, née en 1914 à Vienne dans une famille de la bourgeoisi­e juive, et qui devint célèbre en 1933 en jouant nue une scène d’orgasme dans Extase, de Gustav Machaty.

C’est le point de départ d’une existence fascinante, clivée entre des apparences de plus en plus brisées (mariage mondain avec un marchand d’armes pronazi, carrière d’esclave droguée à la MGM, identité réduite au visage le plus photograph­ié de son époque, nouveaux mariages et rôles de sex-symbol, kleptomani­e qui la transforme­ra en bête de prétoire) et des parties de soi qui, comme l’explique avec sensibilit­é son fils, ont été arrachées : origines juives (plus souvent masquées chez les actrices hollywoodi­ennes que chez leurs confrères), sentiment d’exil, intelligen­ce hors du commun qui se traduit, depuis l’enfance, par des inventions permanente­s.

Malgré l’absence d’éducation scientifiq­ue – qu’un garçon aurait reçue –, Lamarr a fait preuve de génie. Ce que le film rétablit en retraçant son invention du “commutateu­r de fréquences”, dans le but d’aider les Alliés dans leur effort de guerre. Le brevet, déposé en 1941, et qui a ensuite servi aux systèmes de téléphonie cellulaire, ne lui a jamais rapporté un sou. Après l’admission de l’actrice au National Inventors Hall of Fame en 2014 (quatorze ans après sa mort), Hedy Lamarr… contribue à remplir les blancs d’une personnali­té qui, aujourd’hui encore, dénoue bien des clichés sur la femme/ actrice/potiche/prix de beauté/idiote/nulle en sciences/femme objet.

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Hedy Lamarr dans ZiegfeldGi­rl de Robert Zigler Leonard (1941)

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