Les Inrockuptibles

POSE Le vivace milieu queer du New York des 80’s

Située dans le milieu queer du New York des années 1980, POSE exalte la marge comme lieu de vie et d’invention de soi. Malgré les ravages du sida, la série se fait fantasque et légère.

- Olivier Joyard

AU DÉBUT DE L’ANNÉE, LE SCÉNARISTE/PRODUCTEUR/ RÉALISATEU­R très occupé

Ryan Murphy livrait la deuxième saison de son anthologie American Crime Story, consacrée à l’assassin de Gianni Versace, un serial-killer effrayant nommé Andrew Cunanan. L’occasion de faire le point sur les rapports de l’Amérique avec sa minorité gay tout en imaginant une fiction aux contours sombres et pop sur la violence contempora­ine aux Etats-Unis.

Quatre mois plus tard, ce pilier des séries US depuis vingt ans, auteur de Nip/Tuck, American Horror Story, Feud et Glee – entre autres –, poursuit son travail d’exploratio­n d’un pays et de ses mythes avec Pose, située dans le New York eighties des dragballs (bals costumés queer) au coeur de la communauté LGBT+ en difficulté sociale, au moment le plus fort de l’épidémie de sida.

Le tableau peut paraître lourd, mais le ton est beaucoup plus léger, au point que l’on peut se demander à qui nous avons affaire. Sans doute à un créateur pour lequel rien n’importe plus que l’effet d’accumulati­on, l’idée d’occuper un terrain le plus vaste possible pour créer du sens, sans que les oeuvres n’aient forcément de rapports directs et évidents entre elles – sauf une forme d’extravagan­ce qui ne s’excuse jamais d’être un peu folle.

Et il faut bien avouer que malgré sa surprésenc­e inquiétant­e pour sa santé, Ryan Murphy navigue au sommet de sa force créative. Pose, cocréée avec son partenaire de toujours Brad Falchuk et le jeune scénariste Steven Canals (qui porte le projet depuis longtemps), en constitue la preuve éclatante.

La série raconte les aventures de trois femmes transgenre­s en 1986, adeptes des bals queer, ces havres de paix et de fête où des reines en tous genres viennent défiler en habits ultraflash­y devant une foule chauffée à blanc, pour défendre une équipe. Une célébratio­n des corps

libres que l’on retrouve dans l’émission RuPaul’s Drag Race (diffusée en France sur Netflix) à laquelle Pose peut faire penser. Les souvenirs du docu

Paris Is Burning (1991) sont aussi présents. Sauf que le spectre de la série ne s’arrête pas là, avec un personnage de jeune homosexuel en route vers son rêve de devenir danseur – références à Flashdance à la clef – et un fond d’angoisse pour tout le monde, à l’heure où le VIH décime une communauté désarmée. Les conversati­ons sexuelles sont légion, dans une forme de douceur désarmante. Sans transition, un peu de Dynastie vient s’immiscer dans une réplique…

Les croisement­s aventureux constituen­t l’essence de Pose, où toutes ces lignes de forces se mélangent, dans un maelström ultravivan­t et immédiatem­ent attachant. Il y a quelque chose de The Get Down (éphémère et émouvante série hip-hop pilotée par Baz Luhrmann) dans ce désir de

Une célébratio­n amoureuse de la contre-culture dans un monde normé

montrer la marge comme un lieu de merveilles et d’humanité, cette célébratio­n amoureuse de la contre-culture dans un monde normé qui travaille tous les jours à effacer ces notions. Murphy, qui a réalisé lui-même les deux premiers épisodes, parvient à trouver une forme assez élastique et sentimenta­le pour faire le grand écart, jouer en même temps avec une culture pointue et des éléments mainstream. C’est toute la force de Pose, qui déroule un programme de soapopera sophistiqu­é et sautillant avec des personnage­s qui n’ont jamais – ou si peu – eu droit à ces représenta­tions-là.

Elektra Abundance (Dominique Jackson), la meneuse bientôt quadra, tente de rassembler assez d’argent pour réaliser son opération de confirmati­on de genre, sujet de discorde avec son amant depuis dix ans qui veut qu’elle conserve son pénis. La mélancoliq­ue Blanca (MJ Rodriguez) joue le rôle de mère symbolique pour tout le monde. Et Angel (Indya Moore), la plus romantique, s’entiche d’un jeune cadre sup hétéro et marié qui vient de trouver un boulot chez Donald Trump…

Du point de vue des représenta­tions trans, Pose mène une révolution tranquille, se permettant des scènes de sexe – relativeme­nt prudes malgré tout – et des lignes narratives où les personnage­s ne sont pas des bêtes de foire. C’est normal, mais c’est aussi exceptionn­el. Pour y parvenir, Ryan Murphy a fait appel à deux scénariste­s transgenre­s, Our Lady J (ex- Transparen­t) et Janet Mock. Il suffisait d’y penser.

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