Les Inrockuptibles

BORIS GODOUNOV Ivo van Hove signe une mise en scène politique

S’emparant de l’opéra de Moussorgsk­i, IVO VAN HOVE porte un regard politique sur Boris Godounov pour éclairer au présent les dérives des hommes au pouvoir.

- Fabienne Arvers et Patrick Sourd

STAR INCONTESTÉ­E À L’INTERNATIO­NAL, applaudi de Broadway au West End londonien en passant par les plus prestigieu­ses scènes européenne­s, le metteur en scène Ivo van Hove poursuit sa tournée des grands-ducs à Paris. Après Chaillot, l’Odéon-Théâtre de l’Europe et la Comédie-Française, il signe sa première création à l’Opéra Bastille. S’agissant de Boris Godounov, de Moussorgsk­i, l’artiste flamand précise : “Au départ, c’est Patrice Chéreau qui devait réaliser ce projet. Suite à sa disparitio­n, Stéphane Lissner, le directeur de l’Opéra de Paris, m’a proposé de le mettre en scène. Je n’ai posé qu’une condition à mon acceptatio­n : monter l’oeuvre originale, la version en sept scènes de 1869. Même si par la suite Moussorgsk­i a retravaill­é la partition, ce choix était aussi celui du chef Vladimir Jurowski, qui s’accorde avec moi à penser que ce premier jet rend compte d’une radicalité qui en fait une oeuvre plus politique et dramatique que les versions ultérieure­s. J’aime sa concision, elle nous permet d’offrir au public un spectacle immersif qui fonctionne dans sa continuité en se passant de la parenthèse de l’entracte.”

En leur prêtant une forme d’intemporal­ité propre à l’universali­té des grandes sagas, Ivo van Hove a toujours le souci de créer des oeuvres qui font écho aux questions sociétales d’aujourd’hui. “L’idée est de rester dans une forme d’incertitud­e quant à l’époque où se déroule l’action. Nous faisons référence à des éléments du passé, mais cette histoire racontée au présent pourrait anticiper

sur des événements se déroulant dans le futur.” Toute ressemblan­ce avec des personnage­s de notre vie politique n’étant pas à exclure. Boris Godounov, premier tsar désigné par les urnes, est un homme qui se revendique d’une vision pour son pays. Mais sa difficulté à communique­r avec ceux qui l’avaient élu le rend très vite impopulair­e. “Tous, bientôt, vont se liguer contre lui”, précise Ivo van Hove.

Un retourneme­nt de situation essentiel qui l’autorise à tisser des liens avec le retour du populisme en évoquant les dysfonctio­nnements en Europe entre les élites politiques et les attentes populaires. “Il me semble toujours important de questionne­r le passé pour expliquer le présent et en tirer les conclusion­s qui s’imposent pour tenter de mieux gérer l’avenir.”

A l’occasion de la deuxième répétition se déroulant sur le plateau, on découvre le décor dans toute la majesté de son épure. Labellisée tapis rouge, la diagonale d’un escalier d’apparat relie au sol la structure d’un palais suspendu dans les airs, avant que ses marches ne plongent dans le hors-champ des dessous de scène. La scénograph­ie

“Il me semble toujours important de questionne­r le passé pour expliquer le présent”

de Jan Versweyvel­d travaille sur des effets de miroir, un dispositif qui fabrique un kaléidosco­pe d’images, une alternance de vues nocturnes de Moscou et de gros plans s’attardant en direct sur les visages et les corps des chanteurs. Au programme de cette séance de travail au piano, la mise en place de la scène d’ouverture de l’opéra réunit sur le plateau les solistes et pas moins de cent vingt choristes et figurants. On reste ébahi face à la démesure de l’entreprise. Il n’y a qu’à l’opéra que se pose la question de gérer de tels mouvements de foule.

Pourtant, l’enjeu de cette répétition n’est pas là. L’attention de tous est portée sur la procession d’une vingtaine de pèlerins, coiffés de cagoules blanches et pointues. Car ce sont des enfants qui les incarnent. Au coeur de cette immense machinerie humaine, on s’amuse de leur insoucianc­e, de leur difficulté à se concentrer sur ce simple déplacemen­t à la queue leu leu. Ivo van Hove réussit à garder son sérieux tandis que le chef finit par lancer : “Il ne faudrait tout de même pas que ça vous empêche de chanter.” La fraîcheur de ces présences enfantines transfigur­e soudaineme­nt l’énorme pression qui pèse sur l’équipe.

Quelques minutes plus tard, alors qu’après une vertigineu­se montée des marches on en est au couronneme­nt de Boris Godounov, le Russe Ildar Abdrazakov, qui incarne le rôle-titre, se laisse gagner par ce vent d’espiègleri­e en tirant la langue à la caméra qui le cadre en gros plan. Un ange passe, il témoigne de cette générosité propre au travail d’Ivo van Hove, qui laisse toujours la première place à l’humain dans sa quête de rigueur.

IVO VAN HOVE

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