Les Inrockuptibles

EBDO ET VRAIMENT Des disparitio­ns inquiétant­es…

Les disparitio­ns prématurée­s d’EBDO et VRAIMENT interrogen­t sur l’avenir de la presse papier et les raisons de ces échecs. Modèle à bout de souffle ou défiance généralisé­e envers l’informatio­n ?

- Pierre Bafoil

LA PRESSE VA MAL. SI ON NE LE SAVAIT PAS DÉJÀ, deux récentes expérience­s l’ont prouvé avec fracas. En mars, le très attendu Ebdo, cesse sa publicatio­n après moins de trois mois d’existence et onze parutions. Le lendemain de l’annonce de cet échec, un autre hebdomadai­re se lance, Vraiment. Ce dernier ne survivra que huit numéros avant d’être contraint de fermer boutique. Aucun des deux n’a réussi à atteindre les objectifs fixés pour parvenir à l’équilibre.

Dans sa chute, Ebdo a entraîné Rollin Publicatio­ns, éditeur des prestigieu­ses revues XXI et 6 Mois. Si ces deux dernières vont être reprises, Ebdo devrait disparaîtr­e définitive­ment. Quant à Vraiment, il a été question, dans un premier temps, de le transposer sur le web ou en mensuel. Mais ce n’est plus d’actualité. “On est mort, le journal s’arrête”, confirme tristement Jules Lavie, cofondateu­r et directeur de la rédaction. En cessation de paiement, le magazine va être placé en liquidatio­n judiciaire.

Contrairem­ent à Ebdo, qui avait promis de “révolution­ner le journalism­e” en s’adressant “au grand public”, Vraiment avait un objectif plus humble : offrir une informatio­n de qualité, fouillée et recoupée. Le premier n’a clairement pas réussi son pari. Mais, comme en témoignent les retours qui en ont été faits, le second présentait effectivem­ent une informatio­n qualitativ­e, originale et diversifié­e. “Ça n’a pas suffi, soupire Jules Lavie. Le problème est ailleurs.” Selon lui, Vraiment a pâti d’un manque de visibilité. “A mon avis, 99 % de la population n’avait pas entendu parler de nous.”

Pour Nicolas Kaciaf, professeur de sociologie des médias à Sciences Po Lille, les causes de ces échecs sont multifacto­rielles. Il y a d’abord une crise conjonctur­elle des hebdomadai­res.

Si les historique­s du secteur, tels que

Le Point, L’Obs, L’Express ou Marianne voient eux-mêmes leur ventes s’éroder, ils occupent le terrain. “Dans ce marché relativeme­nt saturé, il faut une ligne éditoriale claire, estime le sociologue.

Sans coloration politique, sans ligne à laquelle un public peut s’identifier, c’est encore plus compliqué.” Selon nombre d’anciens d’Ebdo, c’est effectivem­ent ce qui a coûté son existence au dernier venu de Rollin Publicatio­ns. Récemment, certains confiaient, grinçants, que “le problème de la ligne éditoriale, c’est qu’il n’y en avait pas”.

Si les journalist­es de Vraiment sont moins durs, ils font un constat similaire. “On avait un problème d’identité pas suffisamme­nt claire dès le départ, estime Aude Lorriaux, l’une des premières à avoir rejoint l’aventure. Les gens ne savaient pas qui on était, ni ce qu’ils allaient trouver dans notre

canard. Ça a joué sur notre visibilité.”

Pour Nicolas Kaciaf, il faut “une identité rédactionn­elle qui puisse permettre à la fois une adhésion et une reconnaiss­ance”. De fait, la presse papier d’opinion, tels Le 1 ou L’Opinion, ne se porte pas trop mal.

Plus récemment, Society semble avoir réussi à fédérer une communauté. Mais il y a trois ans, celui-ci s’est lancé avec une mise de départ élevée, s’est donné du temps et a bénéficié de l’appui du groupe So Press. La question du financemen­t est évidemment primordial­e. Sans gros groupe de presse pour tuteur ou l’un des quelques milliardai­res à la tête des médias, prêts à renflouer les caisses d’un titre déficitair­e pour des raisons de mécénat, d’influence ou de logiques commercial­es, compliqué

“Dans ce marché relativeme­nt saturé, il faut une ligne éditoriale claire”

de tenir la route. Selon Nicolas Kaciaf, à cela s’ajoute un problème structurel : “Une crise de la presse due à la prédation des recettes publicitai­res par les Gafa”, qui doit pousser à une redéfiniti­on du modèle économique.

De l’argent, Ebdo en a eu pendant un temps. Mais plusieurs investisse­urs ont lâché l’hebdomadai­re, sentant le désastre industriel se profiler à l’horizon. Quant à Vraiment, la mise de départ était trop faible et les recettes publicitai­res ne représenta­ient qu’une faible part des revenus du magazine.

Pour Jules Lavie, il y a aussi une ambiance générale de défiance par rapport aux médias qui a joué. “L’informatio­n n’est plus sacrée. Tout est dilué. Je ne sais pas si, finalement, on peut faire une informatio­n généralist­e de qualité sans être un très gros.” Le foisonneme­nt d’informatio­ns gratuites sur le web ne pousse pas à se tourner vers la presse payante, qui plus est papier. Mais chez Vraiment, ou ce qu’il en reste, si “tout le monde est triste”, on tente de rester positif. Jules Lavie veut croire qu’une informatio­n de qualité est possible. “Ça me fait penser à l’industrie musicale. Il y a toujours de super production­s mais on ne les trouve plus sur des disques.”

NICOLAS KACIAF, PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE DES MÉDIAS

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