Les Inrockuptibles

A genoux les gars d’Antoine Desrosière­s

Dans une comédie bavarde et délurée, Antoine Desrosière­s traite des abus sexuels et du harcèlemen­t chez les jeunes.

- Emily Barnett

DEUX SOEURS, RIM ET YASMINA, sortent respective­ment avec Majid et Salim, amis complices dans la vie. A eux quatre, ils forment une bande, traînent à la piscine ou au kebab. Alors que tout pourrait être simple, tout devient compliqué et, un soir, l’intrigue sentimenta­lo-amicale se grippe comme dans une pièce de Marivaux : victime d’une manipulati­on, Yasmina administre au tandem masculin une double fellation avant de faire l’objet d’un chantage à la sextape.

Le film de Desrosière­s (son troisième long en vingt ans), à plusieurs égards, marche sur des oeufs. Son sujet d’abord : le viol et le harcèlemen­t sont des thèmes a priori peu compatible­s avec la légèreté de la comédie. C’est pourtant le ton visé ici : chaque situation est conçue pour faire rire et reste opaque à toute gravité. Autre raison qui rend A genoux les gars inconforta­ble : sa manière de filmer très frontale et son image extraordin­airement plate, référence évidente à l’esthétique YouTube et aux chaînes personnell­es.

Si on a souvent l’impression d’une jeunesse qui se filme elle-même, dans une mise en scène transparen­te au point de donner le sentiment qu’elle peut se passer d’un réalisateu­r, ce retrait apparent d’un démiurge tout-puissant se joue dès l’écriture : coécrit par les deux actrices principale­s, Souad Arsane et Inas Chanti (interprète­s d’Haramiste, un précédent moyen métrage du cinéaste), le scénario n’est jamais dans la provocatio­n gratuite, et au contraire impression­ne par l’ampleur et la précision de ses dialogues. Tout y est écrit à la virgule près, imprégné d’effets comiques et de traits d’humour (on rit plus que chez Kechiche), dans une tchatche jouissive et performati­ve, active et imagée, vrai personnage du film.

Sept mois de montage ont été nécessaire­s, dit-on, pour dompter cette gouaille et lui donner sa forme sans ralentir son rythme effréné. Le metteur en scène sait heureuseme­nt aussi ménager des pauses (les somptueux plans fixes sur la ville endormie) et des décrochage­s ouvertemen­t désuets qui scandent cette fiction si contempora­ine de tubes yé-yé sans enrayer la cohérence de son intrigue.

Allégé d’une partie de ses prérogativ­es, Desrosière­s applique à la lettre une morale voltairien­ne, contournan­t tabous et regard surplomban­t : cette liberté d’esprit ne sacrifie pas les victimes aux bourreaux, bien au contraire, elle finira par se jouer d’eux, sans cynisme, en mêlant ruse, raillerie et chant féminin. Quand aux deux sganarelle­s, ils voient leurs préjugés battus en brèche, et devront se débarrasse­r de leur attirail machiste largement hérité de YouPorn. Chacun progresse ainsi un peu vers sa vérité et la teneur singulière de son désir.

A genoux les gars d’Antoine Desrosière­s, avec Souad Arsane, Inas Chanti, Sidi Mejai, Mehdi Dahmane, Elis Gardiole (Fr., 2018, 1 h 38)

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