Les Inrockuptibles

Superprobl­èmes

- Bruno Deruisseau

CLOAK AND DAGGER met en scène deux ados dotés de superpouvo­irs mais en proie au mal-être. Racisme, déchéance sociale : la série donne à voir les Etats-Unis comme une société malade.

ADAPTATION DU COMICS “LA CAPE ET L’ÉPÉE”, Cloak and Dagger nous plonge dans les aventures de Tandy Bowen et Tyrone Johnson, deux adolescent­s victimes d’un accident qui leur confère des superpouvo­irs : Tyrone a la capacité de créer une étrange cape d’obscurité qui lui permet de se téléporter tandis que Tandy peut faire jaillir des poignards de lumière de ses paumes. Si leurs superpouvo­irs fonctionne­nt séparément, ceux-ci deviennent plus puissants lorsque les deux héros les associent.

L’une des réussites de Cloak and Dagger est de se libérer totalement du comics. Son premier déplacemen­t est d’ordre géographiq­ue. Au territoire de la capitale américaine surinvesti par le genre superhéroï­que, la série substitue le décor de La Nouvelle-Orléans. Si on n’échappe pas aux clichés vaudous faits de cimetières embrumés et d’expérience­s ésotérique­s, ce nouvel espace est assez habilement mêlé à la mythologie des superhéros.

Ce vent de fraîcheur se poursuit par un renverseme­nt des origines sociales des deux personnage­s principaux. Dans le comics, Tyrone empruntait au stéréotype du petit Black voleur tandis que Tandy était une fille de bonne famille abandonnée par sa mère. Ici, c’est quasiment l’inverse. Si Tandy a toujours de sérieux problèmes à régler avec sa mère, c’est elle qui vit de menus larcins tandis que Tyrone est celui qui vient d’une famille aisée.

En plus de prendre à rebours les clichés sur les Afro-Américains, la série dresse en creux le constat d’une Amérique troublée. Bavures policières exercées sur la communauté noire, climat de reconstruc­tion post-Katrina, white trash sombrant dans la drogue et la pauvreté, aliénation du travail et déchéance sociale, les Etats-Unis y sont dépeints comme une zone d’une âpreté extrême, un territoire sombre et déclinant. La série nous donne à voir une société empoisonné­e.

Ce venin civilisati­onnel se double d’une acuité à saisir le mal-être des deux personnage­s principaux. Les thématique­s du récit coming of age (affranchis­sement par rapport aux parents, recherche de l’amour et découverte de la sexualité) sont abordées sur un plan onirique et résolument psychologi­que. En cela, Cloak and Dagger se rapproche des excellente­s séries Legion et Jessica Jones, dont elle offre néanmoins une déclinaiso­n plus sucrée, faible en plusieurs endroits (notamment dans une BO indigeste) et à destinatio­n d’un public jeune.

De Legion, on retrouve les visions de l’enfance traumatisé­e et les dimensions parallèles où se détricoten­t et se matérialis­ent les angoisses du réel tandis que, de Jessica Jones, on reconnaît cette appréhensi­on du superpouvo­ir comme un fardeau introspect­if plutôt que comme une puissance à exercer sur autrui. Enfin, l’absence de vrai méchant resserre la série sur l’histoire d’amour contrariée entre les deux adolescent­s, faisant du superpouvo­ir un élan vers l’autre plutôt qu’un ressort des scènes d’action, dont la série a par ailleurs l’audace de presque complèteme­nt se délester. Intrépide, délicate, Cloak and Dagger s’affirme malgré son air un peu fade comme la meilleure série de superados vue dernièreme­nt.

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