Les Inrockuptibles

Un “homme-femme” est mort

Mohamed Mbougar Sarr, jeune prodige des lettres africaines, signe un roman terrible et splendide sur l’homophobie au Sénégal.

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C’est une vidéo virale, qui circule sur les réseaux sociaux et se retrouve bientôt “dans presque tous les téléphones portables des Sénégalais”, comme l’évoque Rama à la première page du roman De purs hommes. On y voit le cadavre d’un homme être déterré, traîné hors de sa tombe et du cimetière. La foule insulte, frappe le corps et lui crache dessus. Quand Rama montre ces images à Ndéné, le narrateur du roman, et lui demande ce qu’il en pense, celui-ci lui répond :

“Après tout, ce n’était qu’un góor-jigéen.” Un “homme-femme”, comme on dit en wolof, autrement dit un homosexuel.

Après avoir abordé le jihadisme dans son premier roman, Terre ceinte (prix Ahmadou-Kourouma 2015), puis le sort des migrants dans Silence du choeur, le jeune prodige des lettres africaines Mohamed Mbougar Sarr s’attaque dans ce troisième livre à un sujet ultra tabou en Afrique : l’homophobie. Tout en prononçant ces mots au sujet du cadavre exhumé, le jeune Ndéné sait qu’il ne fait que répéter ce que la morale et la religion de son pays (si ce n’est l’Etat lui-même) décrètent au sujet des gays – à savoir qu’ils sont des pécheurs, des criminels, qu’il n’y a de place pour eux ni sur terre, ni au ciel, que cette

“tare” est une invention de l’Occident, etc. “J’avais parlé par une bouche commune, songe aussi Ndéné, – telle une fosse – où étaient enterrées – mais elles ressuscita­ient souvent – les opinions nationales.” C’est aussi le début d’une prise de conscience, d’une remise en question radicale. “D’où me vint alors, immédiatem­ent après, ce sentiment d’être l’antre d’un monstre, un monstre qui m’expulserai­t de moi ou, à l’inverse, et sans doute était-ce la même chose, m’emprisonne­rait dans mes fondations ? D’où me venait la conscience d’une étrangeté à l’oeuvre dans mon propre être ?” Ndéné, jeune professeur de littératur­e, va dès lors partir sur les traces de l’homme déterré, essayer de comprendre qui il était, à ses risques et périls. D’un réalisme sombre sur la lâcheté de la majorité des hommes autant que sur le courage de ceux qui bravent les interdits et en payent le prix, De purs hommes fait partie de ces livres qui marquent très longtemps. Eblouissan­t, d’une écriture poétique, sensible et scrupuleus­e, Saar fait penser à Emmanuel Carrère par son emploi d’un “je” subtil, honnête et intransige­ant envers lui-même. Un auteur à suivre de près. Yann Perreau

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De purs hommes (Philippe Rey), 192 p., 16 €

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