Harpagon, parangon du patron

Très drôle en Harpagon manageant d’une main de fer sa start-up, Laurent Poitrenaux fait entrer L’Avare dans le capitalisme du XXIe siècle. Plongeant L’Avare de Molière dans le grand bain de l’économie de marché contemporaine, Ludovic Lagarde escamote la maison bourgeoise où se déroule la comédie pour un entrepôt où s’entassent sur des palettes les mystérieux produits d’un juteux commerce d’import-export. Laurent Poitrenaux réinvente avec génie une figure d’Harpagon comptant plus vite que son ombre et jouissant comme un poisson dans l’eau de la réussite de sa start-up. En bon manager, il s’habille comme ses employés et porte fièrement une chemise au logo de son entreprise. Souffrant de toute évidence d’hypervigilance, la seule évocation du mot “argent” le met en transe. On pense à Jerry Lewis quand son corps tout mou évoque le caoutchouc, à Louis de Funès quand la crise le déborde pareille à des décharges de

220 volts. Capable de slamer son texte pour séduire la copine de son fils, l’acteur touche au grandiose quand on lui vole sa précieuse cassette. Chacun s’est essayé sur les bancs de l’école à dire ce fameux monologue, Laurent Poitrenaux sublime l’exercice de style en un somptueux pastiche de la manière de jouer “être ou ne pas être” dans Hamlet de Shakespeare. Molière peut-il être si moderne ? Balayant l’argument, Ludovic Lagarde fait défiler le texte original sur l’écran des surtitres pour qu’on sache qu’il le respecte de A à Z. Bluffant.