Les Inrockuptibles

“J’ai toujours été obsédé par les images interdites”

- TEXTE Jean-Marc Lalanne PHOTO Jules Faure pour Les Inrockupti­bles

Vanessa Paradis en réalisatri­ce de porno gay et amoureuse éperdue, plonge dans le monde intensémen­t sexuel et follement romantique de YANN GONZALEZ pour Un couteau dans le coeur, en salle le 27 juin. Le cinéaste détaille ici, dans un mosaïque de souvenirs, points de vue et confidence­s, les motifs secrets de son univers.

YANN GONZALEZ EST NÉ À CANNES. EN TOUT CAS COMME CINÉASTE. De 2006 à 2008, il y a présenté, à la Quinzaine des réalisateu­rs, ses premiers courts métrages, imposant devant un public de plus en plus conquis son cinéma transgress­if et fantasque. Et c’est aussi à Cannes (à la Semaine de la critique) qu’il a présenté en 2013 sont premier long, Les Rencontres d’après minuit, puis, sous les ors de la Compétitio­n, son deuxieme et nouveau film, l’exaltant Un couteau dans le coeur. C’est encore à Cannes, ou pas loin, que Yann Gonzalez est né comme personne, à Antibes, à la fin des années 1970. Comme beaucoup d’enfants cinéphiles, il s’est violemment projeté dans les images – mais de préférence dans celles qu’on lui confisquai­t : celles interdites du porno ou du gore ; celles, difficiles à trouver, du cinéma expériment­al. Au fil des réminiscen­ces, le cinéaste revient sur la lente sédimentat­ion d’un désir de cinéma né sur un manque.

DICO PORNO

Le film est né à la lecture du Dictionnai­re des films français pornograph­iques et érotiques de Christophe Bier, juste après le tournage des Rencontres d’après minuit. J’ai découvert Anne-Marie Tensi, une productric­e et réalisatri­ce de films X gays dans les années 70. J’ai été frappé par cette figure de femme de pouvoir régnant sur une équipe d’hommes. Et aussi par son destin tragique. Elle est morte au début des années 90, vers l’âge de 50 ans, totalement alcoolique. Une septicémie avait conduit à ce qu’on l’ampute d’une jambe. La plupart de ses films ont disparu. J’ai mené une vraie enquête autour d’elle, dont il reste finalement peu de chose dans Un couteau dans le coeur. Mais le personnage de Vanessa Paradis est tout de même né de ma découverte d’Anne-Marie Tensi.

X

Le chef-d’oeuvre du cinéma porno des années 70, c’est un film qui s’appelle Equation à un inconnu, le seul film tourné sous pseudo de Francis Savel, un peintre assez connu qui était dans les années 60 le protégé d’Alain Delon et de Romy Schneider. Il a aussi été le directeur artistique de Joseph Losey sur

Don Giovanni et Monsieur Klein. Equation à un inconnu produit un alliage de mélancolie et de trouble absolument inouï. Les visages, leur tristesse, bouleverse­nt. Le film se termine par une séquence d’orgie silencieus­e déchirée par des rires hystérique­s et terrifiant­s. C’est un cérémonial d’adieu, qui semble traversé par la préscience de la catastroph­e à venir, celle de l’épidémie du sida.

CRUISING

Cruising de William Friedkin (1980) est inspiré d’un grand porno gay américain de la fin des années 70, NewYork City Inferno, qui comporte une grande scène de bacchanale cuir aux participan­ts masqués, là encore très annonciatr­ice de l’enfer du sida. Friedkin avait vu le film et s’en est beaucoup inspiré. Cruising compte beaucoup pour moi. J’avais le souvenir d’une scène de meurtre d’un garçon attaché très proche de celle qui ouvre mon film et j’ai préféré ne pas revoir celui de Friedkin avant de tourner. C’est un film plus dérangeant qu’excitant. Il fait peur, vraiment. Le mien est moins effrayant, moins cru je crois. La plongée dans le milieu cuir SM qu’opère Cruising est presque documentai­re. Le regard combine l’hostilité et la fascinatio­n. C’est un chef-d’oeuvre absolu sur la contagion du désir. Un policier hétéro infiltré dans le milieu gay pour pister un serial-killer est d’abord contaminé par le désir sexuel, puis par le désir de meurtre. Sur l’ambivalenc­e des pulsions, c’est très impression­nant.

PREMIERS CHAGRINS D’AMOUR

Quand on aime absolument un être, comme le personnage de Vanessa (Paradis) aime celui de Kate (Moran), on est persuadé que le sentiment est si intense qu’il ne peut que provoquer la réciproque. J’ai souvent vécu ça ado et fait l’expérience très tôt

de toute la cruauté de l’amour. Je pensais que j’aimais si fort que l’autre ne pouvait que m’aimer aussi. Quand j’ai vu que ça ne marchait pas comme ça, ça a été fondateur. J’ai compris la résistance du réel, la résistance de l’autre, la résistance des coeurs. Je me suis lancé dans toutes sortes d’incantatio­ns pour que l’autre vienne à moi, je croyais aux sortilèges de l’amour, qu’en faisant écouter à l’être aimé certaines musiques dans certaines situations, ça marcherait. Je croyais qu’en fomentant des cérémonies intimes à deux, on pouvait ramener l’autre à soi. Evidemment, ça ne marchait pas. Bon, ça a quand même fini par marcher quelques fois (rires). Mais nettement plus tard ! Après plusieurs années de cérémonies très solitaires…

DES TITRES

Ce qui m’a fait rêver dans le cinéma de Philippe Garrel, ce sont d’abord les titres de ses films. Je les ai découverts en me plongeant dans le Dictionnai­re du cinéma de Jean Tulard et j’ai été frappé par ces titres si évocateurs : La Cicatrice intérieure, Le Bleu des origines, Le Berceau de cristal… Ça ouvrait à des mondes imaginaire­s inouïs sans que je sache très bien à quoi les films pouvaient ressembler. Pour Le Berceau de cristal, je me suis même procuré la BO d’Ash Ra Tempel avant de voir le film et je l’ai rêvé pendant des années. Ce qui est beau, c’est que quand j’ai découvert le film, il n’a pas été concurrenc­é par les images qu’en moi il avait créées. Il était beaucoup plus fort, et surtout ailleurs.

AUTOBIOGRA­PHIE

J’ai besoin de passer par le filtre de la fiction pour parler de moi. C’est l’imaginaire qui fait office de filtre à mon vécu. Je n’ai par exemple jamais filmé dans le sud de la France, dont je suis originaire. Quand je retourne chez moi, malgré tout l’attachemen­t que j’ai pour ma famille, je ressens un poids. Qui est celui de la norme et qui continue, même à 40 ans, à m’étouffer un tout petit peu. J’ai probableme­nt besoin de quelques années encore pour m’en libérer et me réappropri­er les paysages de mon enfance. Alors même que les couleurs du ciel, de la mer, toute cette énergie solaire de la Côte d’Azur, je les adore et je sais que j’y viendrai.

SECRET

C’est vrai que la maltraitan­ce des enfants par leurs parents est un des sujets du film. Mais pour le coup, je n’ai pas du tout été un enfant maltraité, loin de là. Mon père, notamment, n’a rien à voir avec ceux, violents ou castrateur­s, de mes films.

Mon homosexual­ité a néanmoins été pendant quelques années un secret douloureux. Je m’en suis totalement libéré aujourd’hui. Mais j’ai quand même l’impression de ne pas avoir suffisamme­nt vécu mon homosexual­ité entre 20 et 30 ans, et d’en profiter davantage aujourd’hui.

FANTASMES

Je ne crois pas du tout, par ailleurs, que mes films sont une forme de coming-out. Ils ne décrivent pas ma sexualité, même pas mes fantasmes. Je crois qu’ils révèlent plus mes fantasmes de cinéma que mon érotique personnell­e. Ce qui était troublant à Cannes, c’est qu’il y avait toute ma famille, mes oncles, mes tantes, même mes grands-parents, et j’imagine qu’en voyant tous ces meurtres sanglants et sexuels projetés sur l’immense écran du Grand Théâtre Lumière, ils ne faisaient pas forcément la distinctio­n entre mes fantasmes de cinéma et

“Brisseau compte beaucoup pour moi. C’est le cinéaste qui montre le mieux l’horreur du monde exorcisée par le fantasme”

YANN GONZALEZ

ce que je fabrique dans mon lit (rires). Ça a dû être un peu perturbant pour eux. D’ailleurs, j’ai eu très peu de réactions après. C’était retour au silence.

EMPÊCHEMEN­T

L’épisode en dehors de Paris avec les personnage­s de père abusif et de fille sacrifiée, joués par Jacques Nolot et Romane Bohringer, redouble l’histoire principale et raconte aussi l’histoire d’une vie sacrifiée, d’un empêchemen­t. Cathy (Romane Bohringer), c’est le personnage le plus émouvant du film, défini par sa solitude et l’impossibil­ité de se libérer de cette chape de plomb de la norme. C’est le personnage que j’aurais pu être si je n’étais pas parti à Paris. Je suis très frappé par le destin de certains d’artistes qui, après s’être accomplis à Paris, retournent vivre chez leurs parents après une série d’échecs, à plus de 50 ans. C’est le cas de l’écrivain Tony Duvert par exemple, qui avait ouvert un kiosque à journaux en province, dans le village de sa mère. Sa mère est morte, il a complèteme­nt disparu de la circulatio­n, ne voyait plus personne et on a retrouvé son corps plusieurs semaines après sa mort. C’est comme si la liberté de vie avait été tellement forte qu’elle entraînait le besoin de régresser, de revenir à l’enfance.

LES NUITS FAUVES

Je n’ai pas forcément choisi Romane Bohringer comme une citation des Nuits fauves. Mais le film a beaucoup compté pour moi. Je l’ai découvert à 16 ans, après qu’il a eu le César du meilleur film (mars 1993). C’était un tel événement que je pouvais aller le voir sans que ça ressemble, aux yeux de ma famille, à l’aveu de mon homosexual­ité. Mais je me souviens que c’était déjà dur de dire que j’allais voir Les Nuits fauves. C’était quand même un film de pédé où des mecs baisent sous les ponts de Paris. Quand je leur ai dit que j’étais fou du film, j’ai eu le sentiment de faire un premier coming-out.

SUPER-PUCEAU

J’ai grandi avec l’image de malades du sida. J’avais 13 ans quand Hervé Guibert est passé à Apostrophe­s, décharné, et l’image m’a traumatisé. Ado, j’ai nourri une terreur folle du sida. Quelques années plus tard, un staff de prévention est venu dans mon lycée et nous a montré des diapos de malades avec des taches de Kaposi. Je me suis mis à trembler et je suis tombé dans les pommes. Tout le monde s’est affolé autour de moi et les responsabl­es, avant de partir, m’ont laissé des tonnes de préservati­fs. Autant dire qu’à l’époque j’étais pourtant super-puceau (rires). En tout cas, à cause de cette imagerie très présente à l’époque, la sexualité, avant même qu’elle ne soit vécue, a été pour moi liée à la mort. Et plus encore l’homosexual­ité. Comme si faire le choix de l’homosexual­ité équivalait à choisir le risque de la mort.

PARIS 80’S

Mon film se passe à Paris en 1979, ce qui correspond presque au Paris des années 80 que j’ai découvert enfant quand on venait rendre visite à une partie de ma famille avec mes parents.

Je me souviens d’avoir 10 ou 12 ans et d’écouter, dans le lit de mon oncle et ma tante, Fréquence Gaie, qu’on ne captait qu’à Paris. Je tombais sur des émissions de drague au téléphone et c’était un réservoir à fantasmes insondable. Je ne pouvais pas soupçonner qu’une telle station de radio existe. Je l’ai découverte comme par intuition. Tu déroules la bande passante et tout

à coup, tu tombes sur des voix qui t’arrêtent net, parce qu’elles parlent de toi. Et de ce que tu pourrais vivre.

INTERDIT

Dès l’enfance, j’étais obsédé par le cinéma d’horreur. Comme plus tard par le porno. Par toutes les images qui m’étaient interdites, en quelque sorte.

LOUPS

L’affiche de La Compagnie des loups, un film fantastiqu­e de Neil Jordan sorti en 1985, me fascinait. J’étais très jeune, je délirais sur le film. Un jour, mes parents m’ont proposé d’aller au cinéma, je leur ai dit que je voulais voir ça et ils m’ont répondu OK. Alors j’ai paniqué et j’ai refusé d’y aller. Tout à coup, c’était trop. Je ne pouvais pas assumer ce fantasme alors que je projetais tellement d’images et de désir à travers le poster du film.

NANAR

Vers 12 ou 13 ans, j’ai commencé à voir des films d’horreur, mais plutôt très mauvais. Des téléfilms hyper cheap de Lamberto Bava. Je montrais ça à mes cousins et ils me disaient tous : “C’est quoi, ces nanars ? On dirait du porno.” Tout ça s’est très tôt mélangé dans mes goûts : le grotesque, le nanar, l’horreur, le porno.

EXPÉRIMENT­AL

Un troisième étage de ma cinéphilie serait le cinéma expériment­al. Et là encore, c’est passé par des rêveries sur des films que je n’ai pas vus. Je parcourais le dictionnai­re du cinéma expériment­al de Dominique Noguez et je bloquais sur des titres : Inaugurati­on of the Pleasure Dome de Kenneth Anger, Du sang, de la volupté et de la mort de Gregory Markopoulo­s… J’ai vu les films en arrivant à Paris, mais le vrai moment fort, la vraie rencontre, c’est quand j’ai découvert l’existence de ces films dans les livres.

SCINTILLEM­ENT

J’ai moins de plaisir à aller au cinéma aujourd’hui car les films sont projetés en numérique. Du coup, ma relation au film est moins érotique, moins organique. Le bruit du projecteur, le scintillem­ent de la pellicule me manquent. Je ne me console pas de ce rapport à la matière du cinéma qui s’est perdu. C’est pour ça que je vais beaucoup à la Cinémathèq­ue aujourd’hui : ils continuent à projeter les films en 35.

PUTAIN DE FÉTICHISTE

On pourrait dire que c’est du fétichisme, mais ça va au-delà. C’est vraiment la condition émotionnel­le de mon rapport au cinéma. Et au-delà de ça, je ne sais pas si je suis fétichiste… Ça m’agace un peu quand on ne perçoit mes films que comme un collage d’hommages et de références. Mais c’est vrai que parfois, tout mon désir se fixe sur un objet. Je pense à la première scène de meurtre durant un rapport sexuel BDSM dans Un couteau dans le coeur. Tout mon fétichisme s’est accroché non pas aux corps des comédiens, mais à une petite lampe de chevet pour enfant au coeur du plan. Deux petites filles qui se tiennent la main sont dessinées dessus et la lampe diffuse une lumière qui bascule du rouge au blanc. Tout mon désir pour cette scène s’est cristallis­é sur cette variation de lumière. Pendant toute la prise, je ne regardais pas les corps mais la lampe. Alors oui, en fait, peut-être que je suis un putain de fétichiste (rires). Mais peut-être que

c’est parce que j’ai peur des corps… Mon attention a peut-être besoin de transiter sur des objets pour assumer le fait que quelque chose d’érotique se produit devant ma caméra.

CINÉMA FRANÇAIS

Le cinéma contempora­in ne me satisfait que par endroits très précis. Il me manque souvent, dans les films, du désir et de l’émotion. Je ne pleure quasiment plus au cinéma et j’ai besoin de cette catharsis. Dans le cinéma français, je ressens un défaut de fiction, d’imaginaire. Heureuseme­nt, cela éclate dans les films de Bertrand Mandico. Mais aussi ceux d’une génération émergente : Virgile Vernier, Caroline Poggi et Jonathan Vinel… Dans leurs films, le sentiment dans ce qu’il a de plus explosif et intense arrive à la rescousse du réel.

QUEER

Mes films puisent dans mes amitiés. Pour toute la direction artistique du film, les costumes par exemple, mais aussi

mon coscénaris­te qui est d’abord un ami, je fais appel à des personnes que j’aime dans la vie. Et puis je fréquente pas mal de gens plus jeunes que moi, et avec eux certaines soirées parisienne­s queer. C’est là que j’ai trouvé certains acteurs du film comme Simon Thiébaut, Bastien Waultier, Dourane Fall… Mon imaginaire cinéphile est aimanté par le passé mais j’ai besoin de l’innerver par des corps qui sont des émanations très fortes du présent dans toute sa vitalité.

KATE

Kate Moran, que je filme depuis mon premier court métrage, est ma jumelle en cinéma. Son corps, son visage, sont pour moi inépuisabl­es pour trouver des affects et des personnage­s. C’est l’actrice avec laquelle j’ai envie de vieillir. Hélas, elle n’est pas le portrait de Dorian Gray. Filmer l’inscriptio­n du temps sur elle ne m’empêche hélas pas de vieillir. J’aurais pourtant adoré qu’elle le fasse à ma place, mais ça ne marche pas tout à fait (rires).

NICOLAS

Nicolas Maury est l’acteur le plus génial de France. Il maîtrise un art du transformi­sme, une élasticité du corps, une capacité à inventer des choses différente­s d’une prise à l’autre.

Il apporte de la poésie et du trouble à la vis comica, et c’est unique aujourd’hui en France d’insuffler quelque chose de métaphysiq­ue à la comédie. Je n’ai pas encore suffisamme­nt exploité ça. Dans Un couteau dans le coeur, je me suis surtout appuyé sur ses facultés comiques et j’ai envie d’aller plus loin avec lui dans l’émotion. J’adore son dernier regard échangé avec Vanessa. Il apporte une surcouche magique à ce qu’il joue.

DELPHINE SEYRIG

Comme tout petit pédé un peu cinéphile qui se respecte, je vénère Delphine Seyrig (rires). C’est Demy, Duras, Resnais et Robbe-Grillet, Ulrike Ottinger – cette réalisatri­ce allemande très baroque, proche de Werner Schroeter, que j’aime bien et qui a tourné au moins trois fois avec elle… Fabienne Babe, dans mon premier long, portait une réplique de la robe de Seyrig dans Les Lèvres rouges. Et c’est vrai que, comme tu le remarques, quand Nicolas est travesti dans Un couteau dans le coeur, sa coiffure est identique à celle de la fée des Lilas dans Peau d’âne. Et pourtant, je n’y avais pas pensé.

ELSA OU VANESSA

Quand j’étais enfant, Vanessa Paradis était encore ado mais elle portait déjà avec elle quelque chose de très sexuel qui me faisait peur. Et ce dès Jo le taxi. Elle charriait la nuit, le fantasme, et c’était trop fort pour moi. Du coup, à la fin des années 80, j’étais fou amoureux d’Elsa ! Vanessa va devenir folle en lisant ça ! (rires) Mes premiers rêves érotiques, ma première pollution nocturne, ça a été avec Elsa ! Elle dégageait quelque chose de tellement sage, tellement fraternel, qu’elle était probableme­nt la seule fille avec laquelle je m’autorisais un fantasme sexuel. Elle ramenait quelque chose de doux et familial. Alors que Vanessa n’était que transgress­ion.

NOCE BLANCHE

Un peu plus tard, j’ai vu Noce blanche, et ça a énormément compté. Je l’ai revu il y a deux ans et le film est incroyable­ment libre, insolent et bouleversa­nt. Evidemment, en filmant Vanessa, j’avais envie de retrouver cette intensité, cette passion qui l’anime dans ce film. Brisseau compte beaucoup pour moi. De bruit et de fureur, Céline, L’Ange noir sont des films que j’adore. Et par-dessus tout Un jeu brutal, qui est un vrai film d’horreur social, le film français le plus terrifiant. C’est le cinéaste qui montre le mieux l’horreur du monde exorcisée par le fantasme. Dans tous ses films, il y a une puissance dans ce qu’il montre qui tient de l’épouvante.

STAR

La notion de star est importante pour moi. Surtout dans ce film. La présence de Vanessa irradie sur tous les gens qui l’entourent. Ces gens issus de la marge, ces personnes queer, transgenre­s, souvent dans l’ombre du cinéma français. Elle a une telle aura, une telle puissance iconique, populaire, qu’elle éclaire tout sur son passage. C’était essentiel qu’une star reconnue comme telle occupe le centre du film. Mais j’espère aussi réussir à filmer la part incontesta­ble de beauté et de mystère, donc le potentiel de star, de seconds rôles, de figurants qui traversent mon film.

UN MANQUE

Une star se définit par sa rareté. Ce qui est le cas de Vanessa. La production d’images de la société contempora­ine est devenue tellement gigantesqu­e qu’elle dévalue la possibilit­é d’icônes.

Il y a trop d’images. Il n’existe plus d’espace pour fantasmer. La société est malade de cette satiété. Aujourd’hui, plus personne ne peut rêver comme j’ai pu le faire sur les titres de films invisibles. Tout est disponible. Ma cinéphilie est née sur un manque. Je collection­nais les images. Je les découpais sur des programmes télé et les collais dans des cahiers. La profusion des images qui définit notre époque crée de nouveaux rapports qui donnent ou donneront bien sûr des oeuvres fortes. Mais quelque chose s’est perdu. Ce qui manque, aujourd’hui, c’est le manque.”

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Le mystérieux tueur masqué d’Un couteau dans le coeur de Yann Gonzalez
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New York City Inferno de Marvin Merkins (1978)
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Equation à un inconnu, un film X de Dietrich de Velsa (1980)
 ??  ?? Al Pacino dans Cruising de William Friedkin (1980)
Al Pacino dans Cruising de William Friedkin (1980)
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Nico et Ari Boulogne dans La Cicatrice intérieure de Philippe Garrel (1972)
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La Caverne de la rose de Lamberto Bava (1991)
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Inaugurati­on of the Pleasure Dome de Kenneth Anger (1954)
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 ??  ?? Yann Gonzalez, Paris, juin 2018
Yann Gonzalez, Paris, juin 2018
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Elsa dans le clip de Quelque chose dans mon coeur (Véronique Mucret, 1988)
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Delphine Seyrig dans Les Lèvres rouges de Harry Kümel (1971)
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Vanessa Paradis dans le clip de Tandem (Jean-Baptiste Mondino, 1990)

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