Les Inrockuptibles

Rien à dire

- Christophe Conte

J’ai toujours préféré les fins mots au mot “fin”. Même les gros mots sont plus faciles à sortir que ce petit mot tout fin. Il n’y a plus depuis longtemps de mot FIN dans les films parce que personne n’aime savoir quand c’est fini. Personne n’aime à se résoudre au point final, au point de non-retour, au point où c’est cuit, un peu saignant, voire bleu, blues, où partir c’est mourir un peu, renaître en moins frivole, à jamais amputé d’une part de soi laissée derrière.

“Voilà, c’est fini”, chantait Jean-Loulou Aubert, comme à la station RER du même nom les obstétrici­ens de fortune durent rassurer par ces mots la femme qui accouchait d’un enfant dans une rame la semaine dernière. Les fins sont heureuses, parfois. Et puis allez, la fin d’un monde à soi n’est pas en soi la fin du monde, on ne va pas pleurer, certains même s’en réjouiront, reprendron­t deux fois des moules comme disait Desproges à propos de la mort de Tino Rossi.

Pas la fin du monde, mais pour moi qui ai poussé la porte de ce journal pour la première fois à l’automne 1990, et qui m’apprête à la franchir une dernière fois plus de vingt-sept ans après, il s’est toujours agi d’un des plus beaux espaces de ce monde en question. Un espace de liberté totale, d’émulsion et d’ébullition, d’excitation­s et d’exaltation­s, de quiétudes infiniment plus nombreuses que les inquiétude­s, le lieu unique où certains rêves et fantasmes impossible­s devinrent par miracle d’inoubliabl­es souvenirs.

Ne serait-ce pour cette chance d’avoir pu respirer, le temps de quelques minutes ou de quelques heures, le même air que Paul McCartney, Ray Davies, Brian Wilson, Bryan Ferry, Ron & Russell Mael, Andy Partridge, Elvis Costello, Kate Bush, Paddy McAloon, Michael Stipe, Neil Hannon, Rufus Wainwright, Alain Bashung, Jacques Dutronc, Juliette Gréco, Christophe et tant d’autres, pousser cette porte c’était franchir avant l’heure celle du Paradis. Que tous ceux qui m’en ont tendu les clefs (ils se reconnaîtr­ont) n’en soient jamais assez remerciés.

Rien à dire, ce fut une belle aventure.

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