Ma fille de Laura Bispuri

Avec Valeria Golino, Alba Rohrwacher (It., 2018, 1 h 37)

Un beau et âpre récit d’apprentissage autour de deux figures féminines : la maman et la putain.

Si plus que n’importe quel autre, le cinéma italien est habité par deux figures endémiques – la sainte et la putain –, ses héritières, aujourd’hui, détournent cette imagerie pour mieux en brouiller les frontières : Alice Rohrwacher et les vierges dévoyées des Merveilles, Asia Argento et la mère prostituée du Livre de Jérémie… On retrouve ces deux archétypes dans Ma fille, second film de Laura Bispuri sélectionné au festival de Berlin, chronique sur l’enfance, quelque part sous la chaleur cuisante de la Sardaigne, soumise aux retombées tragiques d’un pacte adulte et faustien. Vittoria est une fillette maigrichonne de 10 ans mal-aimée par ses camarades. En marge de sa vie solitaire, couvée par une mère protectrice, elle noue des liens avec une déclassée du village, une pauvre femme, une marie-couche-toi-là dont la gamine ne tarde pas à comprendre qu’elle est en réalité sa génitrice. Commence une prise de conscience qui vaut comme apprentissage : féminité, érotisme, liberté et transgression sont filmés à la manière de chevaux cabrés que va devoir dompter l’héroïne (l’ouverture est une scène de rodéo), ballotée entre dégoût et fascination, sur fond de classe ouvrière appauvrie et acculée à des choix de vie extrêmes.

A travers les tourments de Vittoria, s’exprime le questionnement de toute jeune fille mise en face de ces deux persona féminines (finement interprétées par Valeria Golino et Alba Rohrwacher), exhortée peut-être, inconsciemment, à rejeter un modèle au profit de l’autre – ici une mère contre une autre. Un choix qui, dans Ma fille, se révèle impossible, tant les deux archétypes féminins se confondent, tant la mère sacrificielle et la fille perdue sont à égalité aimantes et coupables, et chacune viscéralement nécessaire au bonheur cette héroïne maladroite et touchante.