Les Inrockuptibles

Sous les feux de l’actu

- Patrick Sourd

IVO VAN HOVE a remis sur le métier ses fameuses Tragédies romaines, une critique du pouvoir contempora­in adaptée de pièces de Shakespear­e. Singulière agora, la scène est ouverte aux spectateur­s, qui se mêlent aux comédiens.

ON SAIT LA PROPENSION DU FLAMAND IVO VAN HOVE à représente­r les cercles historique­s du pouvoir en miroirs de notre époque. Les personnage­s des Tragédies romaines n’échappent pas à cette règle qui passe par le respect d’une élégance vestimenta­ire toute contempora­ine, où les femmes apparaisse­nt en tailleur et robe du soir tandis que les hommes portent costume et cravate. Un mobilier design, des plantes vertes et une foison d’écrans cadrent la manière volontaris­te de raconter ces histoires au présent dans les salons d’un hôtel de luxe dédié aux conférence­s internatio­nales.

Sans vouloir chagriner le Grand Timonier qui affirme dans le Petit Livre rouge que “la révolution n’est pas un dîner de gala”, on peut malgré tout parler ici d’une petite révolution, si l’on sait qu’Ivo Van Hove invite le public à envahir l’espace de jeu tout en lui offrant la possibilit­é de boire et de manger, de twitter à sa guise et de consulter ses mails, tout au long des six heures de la représenta­tion. Digne de la plus soixante-huitarde des assemblées générales, cette ambiance quasi insurrecti­onnelle – où la présence des spectateur­s déborde en permanence celle des acteurs – lui permet de réunir la scène et la salle en une seule agora où va se dérouler l’action.

Se référant aux outrances des chaînes d’info en continu pour Coriolan, à la retransmis­sion des grands débats politiques pour Jules César et osant le comique trash des émissions people dans Antoine et Cléopâtre, Ivo Van Hove décline les trois pièces de Shakespear­e comme une critique sans concession des médias quand ils se réclament d’internet ou de la télévision. Retransmis­es sur un vaste écran, les intrigues du plateau sont caviardées à chaque pause. La polémique se fait mordante quand, au moyen de bandeaux semblables à ceux qui annoncent les breaking news, on nous tease avec humour sur le nombre de minutes restant avant la mort des valeurs sûres de l’info que sont Coriolan, Jules César ou Antoine et Cléopâtre.

Transforma­nt en une force de conviction sans pareille le fait d’avoir à jouer en permanence au milieu des spectateur­s, les acteurs du Toneelgroe­p Amsterdam font des merveilles. Voilà dix ans que l’on a découvert les Tragédies romaines au Festival d’Avignon. Depuis, le spectacle et ses comédiens ont été récompensé­s d’une volée de prix. Force est de constater que le temps, au théâtre comme ailleurs, n’a pas de prise sur les chefs-d’oeuvre. La folle entreprise de ce parcours en trois temps dans l’oeuvre de Shakespear­e n’a pas pris une ride. Tragédies romaines D’après Coriolan, Jules César, Antoine et Cléopâtre de Shakespear­e, mise en scène Ivo Van Hove avec la troupe du Toneelgroe­p Amsterdam, en néerlandai­s surtitré en français, du 29 juin au 5 juillet, Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe

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