Les Inrockuptibles

L’aube d’un jour nouveau

- Jean-Marie Durand

Loin de la représenta­tion de vies fracassées pour laquelle on la connaît, NAN GOLDING a, au cours de ses voyages, photograph­ié des paysages en Europe et aux Etats-Unis. Sublime et apaisé.

REGARDER LE CIEL, MARCHER AU HASARD dans les prés et forêts, attentive aux spectacles innocents qui s’y jouent, se détourner des huis clos domestique­s envahis par des amis en bout de vie, oublier la nuit noire des dérives addictives, aérer autant son nez que son regard… : le déplacemen­t sensible qui s’opère entre les images iconiques de Nan Goldin du temps de son sublime travail, The Ballad of Sexual Dependency (197995), et celles, plus abstraites, de paysages naturels, rassemblée­s dans l’exposition Fata Morgana, au Château d’Hardelot près de Boulogne-sur-Mer, illustre en lui-même la transforma­tion intérieure de l’artiste depuis une vingtaine d’années.

A l’âpreté de son monde d’antan peuplé de morts (du sida) en sursis, de drogués et d’amants enlacés jusque dans leur propre abandon, Nan Goldin a substitué une apparente douceur, indexée à la contemplat­ion pure de paysages bucoliques, entre l’Italie, l’Angleterre, la France et l’Amérique. Où rien, sinon la menace d’un ciel orageux, l’ombre d’un animal en perdition ou la présence fantomatiq­ue d’une silhouette égarée sur un chemin de terre, ne semble peser sur le destin du monde ; où tout semble à sa place, comme une évidence que le regard de la photograph­e se contente de saisir, sans arrière-pensée, livrée à la seule pulsion de capter un instant.

Pourtant, sous le vernis de cette imagerie naturalist­e, vibre aussi une forme de sauvagerie et d’attention frontale au réel. Certes dépouillée­s, dédramatis­ées, libérées du spectacle des regards concupisce­nts, les récentes images de Nan Goldin n’en restent pas moins traversées par une même quête insondable : celle d’une forme de clarté, d’une trouée vitale dans l’opacité du monde. Rien n’est d’ailleurs jamais très clair dans ses images, toujours prises dans une sorte de brouillard, entre jour et nuit, entre ciel et terre, à l’image de sa magnifique photo, prise en Italie, Blue Hills, où la lumière du jour et celle du soir ne se distinguen­t pas, où tout se confond dans un même halo. Comme dans un rêve ou dans une toile de Rothko, son peintre préféré.

L’expression “fata morgana” provient d’ailleurs de l’italien pour décrire un phénomène d’optique de l’ordre du mirage quand la clarté du jour naissant aplanit les formes qui émergent ; il traverse les plus belles images de l’exposition hantée par la vie d’après autant que par l’horizon de l’au-delà. Dans ce vide, dans cette obscurité oubliée, quelque chose de neuf se déploie, comme l’envie de prêter son regard à la beauté du cosmos, de livrer sa peur au réconfort des forêts, d’abandonner son corps au bleu nuit du ciel.

Fata Morgana Jusqu’au 11 novembre, Château d’Hardelot – Centre culturel de l’Entente cordiale, Condette

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