Les Inrockuptibles

Sampleur d’images

Le musée des Arts décoratifs consacre une rétrospect­ive à l’affichiste mythique Roman Cieslewicz.

- Julie Ackermann

C’EST LORSQUE L’IMAGE ENVAHIT les paysages urbains et mentaux que Roman Cieslewicz commence à opérer. Muni de son bistouri, cet oeil de lynx tranche avec une précision chirurgica­le dans le tissu confus du réel, cette masse visuelle d’affiches, de pubs ou d’emballages qui submergent les sociétés entrées dans l’ère de la consommati­on. Du kiosque à journaux au fin fond des poubelles, il récolte pléthore d’éléments imprimés, les classe par thèmes et les range dans des boîtes.

Il y a les dossiers OEil, Main, Guerre, Mona Lisa, mais aussi Che Guevara, Comics BD, Jaune, Jésus…Voilà pour la méthode maniaque, organisée. Cette archive quasi encyclopéd­ique, cortex d’images hautes, pop ou surannées, constitue le terreau de sa production graphique, composée de copies altérées, de collages et de photomonta­ges. Né en 1930, héritier de dada, de la tradition affichiste polonaise et du constructi­visme russe, Roman Cieslewicz était en fait un DJ avant l’heure. Sa matière première, toujours préexistan­te, était produite à tout moment, partout. L’artiste la remixait, collait, réarrangea­nt le flux visuel pour produire affiches de cinéma, de théâtre, couverture­s de livres… Durant sa carrière, il collaborer­a avec Beaubourg, Raymond Depardon, Le Monde, Elle, Opus Internatio­nal, des revues graphiques expériment­ales comme

Kamikaze. Son oeuvre est prolifique et l’exposition en cours au

MAD permet d’en saisir l’ampleur et la diversité.

Débarqué à Paris de Varsovie en 1963, l’artiste avouera avoir été choqué et excité par la surabondan­ce visuelle dans la capitale. Face à cet océan d’images, l’enjeu, dans son cas, était de ne pas être submergé : dompter le flux et sa violence. D’où une oeuvre résistante et critique. Souvent noire, blanche et rouge, la production de Cieslewicz tranche par son minimalism­e, ses tonalités et motifs ténébreux, presque orwelliens. L’artiste revendiqua­it une “hygiène de la vision”, compétence primordial­e de l’individu postmodern­e : élaguer et savoir sélectionn­er dans un contexte de surstimula­tion. Roman Cieslewicz a montré la voie.

A travers sa création, il a donné une seconde vie aux images volatiles et inventé autant de signes, signaux, images-messages efficaces pour se repérer. Bien avant qu’internet ne l’entérine, il avait pressenti le nouveau statut des images : circulante­s, remaniées. Au sortir de l’expo – et si le syndrome de Stendhal ne nous a pas écroulé au sol –, on se demande bien ce que ce DJ d’images aurait imaginé aujourd’hui.

Roman Cieslewicz, la fabrique des images Jusqu’au 23 septembre, musée des Arts décoratifs, Paris Ier

 ??  ?? Roman Cieslewicz, Il est exactement 1989. Non stop, série Kamikaze 2, revue d’informatio­n Panique, 1991, maquette de double page
Roman Cieslewicz, Il est exactement 1989. Non stop, série Kamikaze 2, revue d’informatio­n Panique, 1991, maquette de double page

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