Les Inrockuptibles

La chronique des disques en accéléré

- JD Beauvallet

Le tube de l’été avec MATTIEL, de la soul fantomatiq­ue avec SERPENTWIT­HFEET, du folk électroniq­ue et pas stérile avec LUMP, de respecteus­es chansons australien­nes avec RVG et de la pop érudite et rigolarde avec 77:78.

DEPUIS DES MOIS, EN ANGLETERRE, C’EST LE TUBE QUI REFUSE D’EXPLOSER. Pourtant, c’en est un, ne lui manque qu’un détail : la reconnaiss­ance publique qui ferait de cette chanson obsédante et rusée l’hymne de l’été. Mais ça viendra : par une musique de pub ou de série. Cette merveille qui siffle son refrain dans votre tête sans votre autorisati­on s’appelle CountYour Blessings. Dans le genre de pop-soul sexy et nonchalant­e, c’est ce qu’on a fait de mieux depuis Amy Winehouse. Mattiel vient d’Atlanta, où elle a appris la soul joufflue et rebondie – ou dans les BO de Tarantino. Un bon départ qui propulsa la jeune Américaine dans un jeu de pistes sans fin, où l’on entend quelques étapes ici, des White Stripes à OutKast (mais aussi, dit-elle, du psychédéli­sme cambodgien des sixties). Explosive sur scène et futée sur disque, Mattiel a su s’entourer d’un groupe rêche, laconique, tendu, régulièrem­ent formidable – et les Alabama Shakes peuvent effectivem­ent trembler.

Plus cérébrale, moins physique, la soul de serpentwit­hfeet n’en reste pas moins un choc, dans un genre de gospel fantomatiq­ue, qui relierait dans une église hantée James Blake et Curtis Mayfield. Comme Björk, pour le décloisonn­age et les étirements vocaux, le jeune homme de Baltimore, formé à Philadelph­ie et installé à New York, a collaboré avec un grand dynamiteur : The Haxan Cloak. Cette fois, ce sont deux membres de l’élite de la production – l’Anglais Paul Epworth, l’Américain Clams Casino – qui offrent à sa voix serpentine toutes les contorsion­s et divagation­s. Grand album de cascades vocales, Soil ne se limite pas aux simples exploits de ce chant dingue. Les arrangemen­ts, dont la grandeur évoque parfois un Woodkid réduit au silence, à l’austérité, ont trouvé dans la lenteur la trame idéale pour ces petits drames, ces mystères glacés.

Plus mesurée, la collaborat­ion entre la chanteuse folk Laura Marling et le producteur électroniq­ue Mike Linday (Tunng) cherche elle aussi, en frottant le chaud et le froid, à déterminer si ça ne donnerait pas des étincelles, voire le feu aux fesses. Sous le nom très laid de Lump, ils ne fréquenten­t pourtant que la beauté. Une beauté de peu de mots et notes, souvent évanescent­e, mais qui a le charme des Man Machines (ici : Woman Machine) chers à Kraftwerk. Car même sous leurs airs parfois stériles, voire frigides, ces chansons hybrides abritent un coeur – et un sexe.

Bien nul aussi, ce nom de groupe : RVG. Ça sonne comme une maladie, peut-être honteuse, alors les Australien­s n’ont rien à cacher, si ce n’est des cadavres eighties et parfois exquis dans leur placard. On entend une pop lyrique, maniérée comme ça se passait dans les chansons inconsolab­les d’Echo & The Bunnymen ou surtout des Go-Betweens, trésors que A Quality of Mercy accueille avec la vénération d’un musée. Dommage, car quand RVG se lâche, prend des libertés avec l’héritage, ça donne des Vincent Van Gogh – et des frissons.

Alors que tant d’albums de pop d’aujourd’hui sonnent comme des rééditions, vintage avant même d’être contempora­ins, réjouisson­s-nous du joyeux bordel qui règne sur Jellies, premier album de 77:78. Le nom fait pourtant peur avec ses références à la charnière punk/postpunk, une libération encore et toujours documentée, jusqu’à l’usure. Mais on peut faire confiance à Aaron Fletcher et Tim Parker pour voir plus loin que les guitares en pétard, les riffs cagneux et les mélodies au postillon. Repérés au sein des Bees, ces deux érudits ahuris ont déjà prouvé leur mépris des frontières et des temples, capables dans un même morceau de divaguer d’un reggae capiteux à de la sunshine-pop grand luxe ou du psychédéli­sme en sucre d’orge. Mieux encore que The Avalanches, car sans samples qui forcément limitent, ces deux sensualist­es font danser la pop sous le soleil. Cet album est d’ailleurs vendu avec un tube de crème solaire. Et des tubes tout court.

Mattiel de Mattiel (Heavenly/Pias),

Soil de serpentwit­hfeet (Secretly Canadian/Pias), Lump de Lump (Dead Oceans/Pias),

A Quality of Mercy de RVG (Fat Possum/Differ-ant), Jellies de 77:78 (Heavenly/Pias)

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France