Ultra Rêve de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, Yann Gonzalez et Bertrand Mandico
Un triptyque de films courts mais grands pour esquisser tout le spectre des désirs d’un jeune cinéma francais en fusion.
ASSEMBLAGE DE TROIS COURTS MÉTRAGES, “ULTRA RÊVE” SE TRAVERSE COMME UNE SUITE DE SONGES D’UNE NUIT D’ÉTÉ de plus en plus chaude, sexuelle, baroque et haut perchée. On s’endort d’abord dans After School Knife Fight, du jeune couple de réalisateurs Caroline Poggi et Jonathan Vinel. Ils nous proposent les visions d’un jeune rockeur qui doit se séparer de son groupe et de la chanteuse, à qui il n’a jamais su déclarer son amour. Alors que les notes du dernier morceau qu’ils jouent ensemble résonnent encore, le sommeil se fait plus profond et se confond avec un cauchemar dans Les Iles, de Yann Gonzalez.
Une nymphe s’y masturbe en regardant les étoiles tandis que, sur une scène de théâtre, un garçon, une fille et un Elephant Man s’adonnent à un plan à trois à la sublime étrangeté. Désormais excité, notre sommeil se prolonge enfin dans Ultra Pulpe, de Bertrand Mandico. Une réalisatrice tente d’y tourner un film sulfureux. Elle essaie surtout d’atteindre la jouissance en convoquant sur le plateau de tournage ses fantasmes et ses fantômes.
A notre réveil, on peut tenter d’organiser ces fantasmes, de dégager les névroses freudiennes dont ils seraient les signes, de découvrir les portes secrètes qui nous ont permis de passer de l’un à l’autre. Car ces trois films partagent plus qu’une même nuit de projection.
Ils sont d’abord tous produits par Emmanuel Chaumet, et ont été révélés au même endroit, soit la Semaine de la critique à Cannes, terre d’accueil privilégiée du jeune cinéma. On remarque d’ailleurs que ces trois courts ont été réalisés soit juste avant (pour le duo Poggi/Vinel), soit juste après (pour Gonzalez et Mandico) les premiers longs métrages de leurs auteurs.
Alors qu’ils constituent une forme d’aboutissement pour ces courts métragistes, ces films condensent des préoccupations dont la maturité et la clarté d’expression se retrouvent ou se retrouveront dans les longs métrages de leurs réalisateurs. Pour le Poggi/Vinel, il s’agit de confronter des personnages peter panesques à la naissance du désir et à la violence, thématique développée dans Jessica Forever, leur premier long métrage prévu pour fin 2018. Pour Gonzalez, le désir s’exprime à travers un personnage monstrueux présent dans Un couteau dans le coeur. Tandis que chez Mandico, cette monstruosité dévore le monde tout entier, le recrachant sous forme de visions postapocalyptiques à l’organicité dégénérescente. Elle se confond avec une humanité qui se livre à ses fantasmes les plus licencieux, prolongeant le mirage insulaire entrevu dans Les Garçons sauvages.
De la vision des trois films se dégage d’ailleurs un territoire, un îlot dans le cinéma français. Les barrières de genre y auraient été abolies, la pluralité du désir y serait la règle, la beauté y aurait été redéfinie comme dépendant plus de l’imaginaire de chacun que de diktats collectifs. Si cette constitution onirique met le corps au centre de ses ébats, elle fait également preuve d’un fétichisme des objets : nostalgie des premiers Walkman ou de la VHS, goût pour l’étoffe et la parure. Ce mélange de toutes les matières (chair et objet) se double d’un brouillage entre les dispositifs scéniques.
A la captation du concert à ciel ouvert qui conclut After School Knife Fight succèdent le dispositif théâtral des Iles et enfin le plateau de cinéma d’Ultra Pulpe. Cette dimension méta, cette manière de dédoubler la figure du spectateur à l’intérieur de la fiction en train de se fabriquer témoigne une nouvelle fois d’un goût pour le mélange. Plutôt que le terme de “cinéma enflammé” que les quatre réalisateurs revendiquent dans le manifeste publié ce mois-ci dans
Les Cahiers du cinéma, on préférera celui de “cinéma en fusion”, état qui résulte de fait d’un embrasement éperdu.
Ultra Rêve agence d’ailleurs ces trois courts pour qu’ils soient les trois étapes d’une fusion progressive. After School Knife Fight est le récit d’un désir de fusion musicale et amoureuse qui se brise sur le réel, Les Iles amorce la fusion par sa sublime scène de sexe fantasmagorique, quand Ultra Pulpe en est l’aboutissement, l’éclaboussant final chimérique de ce cinéma pulpeux et rêveur, insulaire et chaotique, radicalement érotique.
Ultra Rêve de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, Yann Gonzalez et Bertrand Mandico (Fra., 2017-2018, 1 h 22) avec Lucas Doméjean, Sarah-Megan Allouch, Vimala Pons et Elina Löwenson
Ces films condensent des préoccupations dont la maturité et la clarté d’expression se retrouvent ou se retrouveront dans les longs métrages de leurs réalisateurs