Les Inrockuptibles

Un imaginaire bien nourri

La 71e édition du FESTIVAL DE LOCARNO s’est avérée artistique­ment stimulante, entre films de fin du monde et éclats de rire rafraîchis­sants.

- Jean-Baptiste Morain

LA SÉLECTION 2018 DE LOCARNO NOUS AURA MONTRÉ LE DÉSARROI DES HUMAINS face à une sorte de fatalité qui s’est abattue sur eux. Où est le sens de tout cela ? Que faire pour éviter la fin du monde ? Pour survivre ? Sophia Antipolis de Virgil Vernier, peut-être le plus beau film que nous ayons vu ici, dresse un constat accablant, politique et poétique d’une société qui a perdu tout repère, où les vivants sont presque plus fantomatiq­ues que les morts, où la dérélictio­n, la folie, la violence peuvent venir de tous côtés. A la fin du film, le soleil se lève à l’ouest. Le désordre du monde est devenu universel.

Dans Tarde para morir joven, la Chilienne Dominga Sotomayor raconte l’histoire de familles qui, à la fin de la dictature, au début des années 1990, se réunirent pour créer des communauté­s utopiques dans les Andes, tenter de vivre libres au contact de la nature. La jeune héroïne, Carla, est jouée par une débutante au physique androgyne et fascinant, Magdalena Tótoro. Un incendie terrible ravage la région. Pour détruire l’utopie, punir la trahison ? La peur des catastroph­es naturelles, de la fin de la Terre, habitait au moins ces deux longs métrages.

Un film redonnait un peu espoir dans l’humanité. Dans le très drôle et émouvant Temporada, le cinéaste brésilien André Novais Oliveira semble indiquer un chemin modeste. Il décrit des gens de peu (les employés d’un service sanitaire chargés de détecter et de prévenir les foyers de la dengue), qui n’ont que leur amitié, leur solidarité pour survivre dans une société trop dure pour eux. Le film finit sur un espoir : oui, la solidarité, ça marche. Le rire aussi.

L’Argentine María Alché, qui avait débuté adolescent­e dans La Niña Santa de Lucrecia Martel, est devenue une réalisatri­ce douée qui nous livre un beau film, très martelien il faut bien le dire, Familia sumergida. Le film décrit une quinquagén­aire qui perd sa soeur. Elle replonge dans son passé, des fantômes lui apparaisse­nt. Mais le grand mérite du film est surtout de ne pas rester prisonnier de son sujet. Par exemple dans cette scène où le mari de l’héroïne, de retour d’un déplacemen­t profession­nel, improvise une chanson où il se moque de l’image déplorable que ses enfants lui renvoient. Tout le monde rit. C’est vraiment très beau, frais et surprenant.

Et puis il y eut aussi La Flor de Mariano Llinás, un film argentin de quatorze heures dont je dois avouer n’avoir pu voir, hélas, qu’une partie. C’est un film formelleme­nt passionnan­t, qui en rend beaucoup d’autres inutiles. Le cinéaste commence par se mettre en scène et présenter le film qu’il va faire. Il racontera plusieurs histoires, parfois entièremen­t, parfois seulement en partie. Dans cette narration très libre (avec un sens du découpage au contraire très affirmé et un style littéraire admirable), romanesque, fofolle, qui rappelle Borges ou Cortázar, mais aussi le roman picaresque, c’est l’idée de fiction achevée, avec un début, un milieu et une fin qui est remise en cause. De fait, après avoir vu La Flor, certains films nous paraissaie­nt bien vieillots. La liberté dans la création, existe-t-il quelque chose de plus beau pour nous nourrir d’imaginaire­s qui pourraient nous rendre plus forts face au réel ?

Cette 71e édition est artistique­ment stimulante, donc, elle marquait par ailleurs la fin du mandat de Carlo Chatrian à Locarno, qui partira bientôt reprendre en main la Berlinale.

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