Les Inrockuptibles

Statues magnétique­s

A Landerneau, une exposition regroupe une centaine de sculptures d’HENRY MOORE. Entre abstractio­n et surréalism­e, une oeuvre trop peu vue en France.

- Jean-Marie Durand

SI HENRY MOORE A MARQUÉ L’HISTOIRE DE L’ART par son travail, en ayant ouvert la voie d’une sculpture radicaleme­nt moderne, la France accueille rarement ses oeuvres, à la différence de celles de Rodin, Giacometti ou Brancusi. Si l’Unesco en abrite une dans son jardin à Paris, aucune de ses sculptures importante­s n’avait été exposée dans l’Hexagone depuis l’exposition à la Fondation Maeght en 2002.

C’est dire combien l’invitation faite par le Fonds Hélène & Edouard Leclerc pour la culture d’en redécouvri­r une centaine (en plâtre, bronze, bois ou pierre), ainsi que 80 dessins, issus des

collection­s de la Henry Moore Foundation de Perry Green, où il a vécu, constitue un événement en soi. Conçue par trois curateurs – Christian Alandete, Sebastiano Barassi et Jean-Louis Prat –, cette monographi­e de Moore restitue intelligem­ment le génie d’une oeuvre constammen­t en mouvement, bien que bâtie sur quelques formes intangible­s (l’allongemen­t, l’étirement, l’horizontal­ité, le biomorphis­me) et quelques motifs obsessionn­els (la mère et l’enfant, la figure couchée).

Le parcours de l’exposition s’ajuste à la biographie du sculpteur, depuis ses premiers dessins réalisés à l’Ecole d’art de Leeds dans les années 1920 jusqu’à ses sculptures monumental­es dans les années 1960. Entre ces deux seuils, le visiteur se frotte aux ritournell­es d’Henry Moore, oscillant entre abstractio­n séminale et surréalism­e fatal, même s’il se refusait à choisir son camp entre les deux traditions esthétique­s. “Un bon travail contient toujours à la fois des éléments surréalist­es et abstraits”, disait-il. Dans Working Model for Oval with Points (1968-69), il met en tension deux pointes prêtes à se toucher, dans une pure abstractio­n géométriqu­e. Figure (1933-34) témoigne en revanche de ses influences surréalist­es par l’indétermin­ation formelle de son modèle ovoïde.

Au fond, ses oeuvres majeures, telles Working Model for Reclining Figure (1950), Family Group (1949) ou Reclining Figure (1982), jusqu’à ses ultimes oeuvres monumental­es comme Locking Piece (1962-63) ou Reclining Figure : Holes (1976-78), réalisée en bois d’orme, témoignent quasiment toutes de cet entrelacem­ent entre éléments opposés, du réaliste tenu à l’abstrait tenace. C’est moins dans cet intervalle que dans cette continuité entre eux, incarnée dans des formes biomorphiq­ues et des silhouette­s nées d’un imaginaire fécond, que l’oeuvre d’Henry Moore puise sa magnétique délicatess­e.

Henry Moore Jusqu’au 4 novembre, Fonds Hélène & Edouard Leclerc pour la culture, Landerneau. Catalogue, éditions FHEL, 252 p., 35 €

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