Les Inrockuptibles

MAGICAL MYSTERY SHOW

En attendant la sortie de Egypt Station, Paul McCartney a joué un CONCERT SURPRISE cet été à Liverpool, dans l’antre mythique du Cavern Club. Récit d’un après-midi irréel entre émotion palpable et taquinerie­s du cru.

- TEXTE Noémie Lecoq

“LIVERPOOL! CAVERN! THESE ARE WORDS THAT GO TOGETHER WELL”, s’exclame Paul McCartney à son arrivée sur la minuscule scène du Cavern Club, en clin d’oeil aux paroles de Michelle des Beatles. Cette scène ne se déroule pas au début des sixties – même si, comme le rappelle fièrement une pancarte, les Beatles ont joué ici 292 fois entre 1961 et 1963. Nous sommes bien en plein coeur de l’été 2018 et les quelques deux cents personnes présentes s’apprêtent à vivre une expérience qui chambouler­a tous leurs repères spatio-temporels.

La veille, au Liverpool Institute for Performing Arts, Sir Paul a donné une masterclas­s retransmis­e en simultané sur internet, avec Jarvis Cocker en guise de maître de cérémonie. Face à l’ancien leader de Pulp, il a dévoilé une info de choc : il jouerait, le lendemain, “un petit concert secret, quelque part à Liverpool”. L’annonce de l’endroit où retirer des sésames gratuits pour y assister donne lieu à des courses-poursuites dignes de la scène d’ouverture du film Hard Day’s Night.

A Liverpool, quarante-huit ans après leur séparation, les Beatles sont toujours à chaque coin de rue : en statues

(sur les docks qui longent la Mersey, sur la façade du Hard Day’s Night Hotel…), en street art, dans le nom de l’aéroport (John Lennon Airport) et de certaines boutiques et bars, sans oublier les endroits clés de l’histoire du groupe (Penny Lane, Strawberry Fields, les maisons où ils ont grandi…).

En juin, Paul McCartney a lui-même fait un pèlerinage sur les terres de son enfance pour la séquence Carpool Karaoke. Diffusée dans le Late Late Show with James Corden et sur YouTube, cette

vidéo est l’une des plus fabuleuses que l’on ait vues cette année, en particulie­r le moment où sir Paul surprend les clients d’un pub local avec un concert surprise. On était loin de se douter qu’à peine un mois plus tard on assisterai­t à un moment aussi inimaginab­le.

Guitare à la main et répertoire des Beatles en tête, un musicien de rue s’est installé parmi la foule qui se masse dans Mathew Street, la ruelle piétonne où se situent le légendaire Cavern Club et une statue de John Lennon (sur le modèle de la pochette de l’album Rock’n’Roll).

Ces flash-backs pétillants dépoussièr­ent les vitrines de la beatlemani­a et le passé ne semble plus si lointain

A l’heure du déjeuner, en écho aux “lunchtime concerts” que les Beatles ont si souvent joués ici, on passe l’entrée et on descend un long escalier noir dans les entrailles de la ville, comme Alice qui pénètre dans un terrier de lapin pour arriver jusqu’au pays des merveilles. On arrive dans une dimension parallèle : dans une cave voûtée, photos et affiches d’époque côtoient des vitrines où trônent des instrument­s des Beatles.

Ce n’est pas tout à fait le site d’origine. Démoli en 1973, le Cavern Club a été reconstrui­t quelques mètres plus loin, en occupant 75 % du lieu fréquenté par les Fab Four et en réutilisan­t les mêmes briques. Macca a joué dans cette salle fin 1999, peu après la sortie de son album Run Devil Run. Le chemin se poursuit vers une cabine téléphoniq­ue rouge qui débouche dans une arrière-salle plus moderne. Les spectateur­s s’installent contre la scène, sans aucune barrière pour les séparer des musiciens. On reste un peu bouche bée en constatant à quel point Paul McCartney sera proche de nous, en pensant que la plus petite salle où on l’avait vu jusque-là était Bercy.

A 14 heures, il entre en scène, entouré de quatre musiciens, et le groupe commence par un jam instrument­al pour s’échauffer, avant d’enchaîner sur Twenty Flight Rock – sir Paul précise qu’il a pu rejoindre les Beatles en jouant cette reprise d’Eddie Cochran. C’est le début d’un concert intense de deux heures, où des classiques des Beatles ( Magical Mystery Tour, Lady Madonna, All My Loving, Get back…) succèdent à des tubes de Wings ( Jet, Letting Go, Let Me Roll It, Nineteen Hundred and Eighty Five…) et à des chansons de sa carrière solo. Impossible de ne pas ressentir une décharge électrique en croisant le regard du gentleman pop, ou des frissons délicieux quand il interprète ses mélodies éternelles (notamment

Love Me Do et le morceau-fleuve Band on the Run), qui provoquent des instants karaoké irrésistib­les. Avec une élégance décontract­ée et un humour espiègle, il met son auditoire à l’aise en prenant l’accent scouse pour ses taquinerie­s et le public s’autorise des contre-attaques. S’il reste maître de ses sentiments, il laisse ses souvenirs revenir à la surface et raconte de nombreuses anecdotes

– il déclare par exemple qu’il entend sa voix trembloter d’émotion sur l’enregistre­ment de Love Me Do et il explique comment les Beatles arrivaient à feinter pour jouer des morceaux rock alors que le propriétai­re du Cavern Club martelait que son club n’acceptait que le blues.

Ces flash-backs pétillants dépoussièr­ent les vitrines de la beatlemani­a et le passé ne semble plus si lointain – une impression renforcée par la forme olympique de ce jeune homme de 76 ans. Il en profite pour dévoiler quatre extraits de Egypt Station, son nouvel album solo, qui donnera le coup d’envoi de la rentrée. Ces nouvelles mélodies inoubliabl­es prouvent que la qualité de son songwritin­g reste inaltérabl­e. Pour achever le public, le groupe a prévu un final incandesce­nt : Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, qui débouche sur une version volcanique de Helter Skelter. Le groupe salue et s’éclipse. Il est 16 h 30 quand on retrouve la surface, regard hagard et sourire aux lèvres, après avoir laissé en bas un litre de sueur et de larmes. Des chapitres majeurs de l’histoire du rock ont été écrits ici et continuent de jaillir de la plume de Paul McCartney avec la même joie, le même impact émotionnel. On attend de pied ferme la vidéo de ce concert filmé et, si ce titre n’était pas déjà pris, on l’aurait bien baptisé “Once in a Lifetime”.

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Cavern Club, Liverpool, le 26 juillet 2018

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