Les Inrockuptibles

La disparitio­n

- JD Beauvallet

Bien avant que l’on parle de la dématérial­isation de la musique, Mark Hollis inventait la dématérial­isation du musicien à la fin des années 1980. D’abord rare, il a fini par s’évaporer. S’être un temps installé au sommet des charts lui a offert une autonomie absolue. De Scott Walker dans les sixties à certains moments de Kanye West de nos jours, ce refus des sangles donne des cauchemars aux comptables mais des rêves de grandeur à ces pop-stars. Pour mémoire, grâce à une poignée de tubes dignes mais manufactur­és de Talk Talk (Such a Shame), Mark Hollis s’était donc acheté une liberté totale : celle de ne plus abîmer sa vie en tournée, celle d’allonger jusqu’à l’insensé le temps en studio. Lui qui aimait tant l’épure de musiques aussi différente­s que le blues primitif de Robert Johnson ou la musique atonale de Penderecki, qu’il allait pouvoir expériment­er. Il fera jouer ses musiciens des mois durant, ne conservant parfois que quelques secondes de ces improvisat­ions. La musique si belle, patiente et limpide du dernier album de Talk Talk ( Laughing Stock, 1991) possède la violence d’un cri primal comme la douceur d’une sieste toscane. Cette impression d’écouter un dialogue fertile entre instrument­s, une symphonie paisible, est trompeuse : Hollis y dirige mille accidents volés au chaos, dans une tension et une humble démesure permanente­s. Ça sera le dernier album de Talk Talk, Mark Hollis se détachant des structures musicales et des obligation­s industriel­les sur son sublime album solo de 1998. Depuis les quelques secondes d’une musique qui n’existe pas sur Terre exfiltrées sur le net, on reste sans nouvelles. Mais sa musique inspire celle de ses dévots, de Nils Frahm à James Blake. “Il ne reste aujourd’hui qu’une seule chose importante sur mes disques, c’est le silence”, nous disait-il en 1991, avant de rejoindre ce silence.

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Mark Hollis
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