Les Inrockuptibles

Caniba de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor

Un documentai­re sur Issei Sagawa, qui dévora une étudiante à Paris en 1981. Les cinéastes l’ont retrouvé au Japon, où il vit avec son frère. Une étrange fratrie, entre pulsions cannibales et SM.

- Jean-Baptiste Morain

LES DEUX CINÉASTES-ANTHROPOLO­GUES Par ave let Castaing-Taylor (Leviathan) ont retrouvé celui qu’en France on appelle “le Japonais cannibale”, Issei Sagawa qui, étudiant à la Sorbonne il y a près de quarante ans, avait tué une camarade néerlandai­se puis l’avait mangée pendant quelques jours.

Après un imbroglio juridique entre la France et le Japon, il recouvre la liberté en 1985. Devient une vedette dans son pays, comme acteur (dans des films plus ou moins pornos…) et même critique gastronomi­que… Aujourd’hui, physiqueme­nt diminué, Sagawa, à près de 70 ans, ne sort plus du petit appartemen­t mitoyen de celui de son frère, Jun, qui s’occupe de lui. Caniba donne la parole aux deux frères.

Filmé de très près (on voit les pores de sa peau) avec une profondeur de champ minuscule (chaque mouvement de lèvres peut faire entrer le visage du personnage dans le flou), Issei Sagawa raconte ses pulsions cannibales, qu’il assume sans honte. Ce que dit Sagawa dans le film (interdit aux moins de 18 ans) est souvent insoutenab­le – la proximité, voire la promiscuit­é avec son corps, voulue par les cinéastes, rajoutant au malaise. Auteur d’une BD où il expose ses fantasmes anthro pop hagiqu es, Sagawa sourit des images qui le font jubiler, explique qu’il adorerait lui-même être mangé. Son frère semble étonné. Or les rapports entre les deux frères sont en réalité très complexes. Le spectateur découvre que Jun Sagawa est lui-même une figure masochiste célèbre au Japon. Dans cette fratrie, il existe depuis toujours une rivalité dans l’horreur, qui s’exprime librement dans leurs échanges.

Les deux auteurs du film ont une idée de cinéma géniale : ils insèrent au montage des images de films amateur tournées durant l’enfance des deux hommes. On y voit une famille très convention­nelle (leur père était un grand industriel), deux enfants sages qui jouent ensemble. Le spectateur ne peut s’empêcher de les scruter en se disant qu’il va y trouver des réponses. Or non : il n’y a rien à voir, aucun indice. Tout est entre les images, comme dirait Godard.

Le mystère demeure, et c’est peut-être normal. Le cannibalis­me n’a pas d’explicatio­n ; il est peut-être en tout homme, bien refoulé, et – sans se prendre pour Georges Bataille – il n’est pas totalement idiot de penser que la “folie” d’Issei Sagawa est d’avoir permis à ces fantasmes archaïques de se réaliser. C’est la réflexion qu’inspire la vision de Caniba.

Caniba de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor (Fr., 2017, 1 h 30)

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