Les Inrockuptibles

Mauvaise saison

- Olivier Joyard

Depuis quelques semaines, la plus grande chaîne de l’histoire récente des séries, celle qui a mis à l’antenne Les Soprano et Six Feet under, est plongée dans le tumulte. D’un côté, il y a l’excitation après la confirmati­on que l’ultime saison de Game of Thrones arrivera sur HBO début 2019. De l’autre, il y a le doute. Après le rachat pour 85 milliards de dollars (!!!) de Time Warner – sa maison-mère – par le géant des télécoms AT&T, le New York Times a révélé le contenu d’une réunion entre des employés de la chaîne à péage et les nouveaux patrons, ces derniers leur demandant en substance d’aller plus vite, plus haut et plus fort, en produisant un nombre de séries élargi.

Alors que Netflix a, pour la première fois, dépassé sa concurrent­e en terme de nomination­s aux prochains Emmy Awards, un tel discours sentait la panique. Il n’en a pas fallu davantage pour que l’hypothèse du déclin se profile, ou du moins de l’inadaptati­on du modèle HBO – plus onéreux que Netflix et davantage basé sur la rareté – aux nouvelles joutes économique­s qui se cristallis­ent autour des séries. Il y a quelque chose de vrai dans ce diagnostic. A l’ère de la course au “contenu” globalisé et du streaming roi, à l’ère de la frustratio­n interdite, HBO incarne le passé. La chaîne de The Wire consacre pourtant deux milliards d’euros par an à sa programmat­ion originale, une somme étourdissa­nte qui représente… seulement le quart de ce que Netflix met au pot pour ses séries. Quand le géant de la SVOD propose une nouvelle série ou une saison inédite quasiment chaque semaine, HBO privilégie une politique dite de qualité. Une conception old school de la programmat­ion qui peut surprendre.

Netflix n’est évidemment pas la seule responsabl­e de ce désamour. Juste après le milieu des années 2000, quand ses grandes séries pionnières ont quitté les écrans, HBO avait difficilem­ent rebondi. Elle avait proposé Carnivale, John from Cincinnati ou Tell Me You Love Me, tandis que l’épicentre créatif du genre se situait déjà ailleurs, avec Mad Men ou Breaking Bad. Game of Thrones fait office depuis 2011 d’arbre qui cache la forêt. Si la chaîne reste puissante, comme on le voit avec Westworld, elle ne dicte plus la règle du jeu. Casey Bloys, l’homme qui décide avec Richard Plepler du destin des séries, a expliqué récemment sa philosophi­e : “Je ne veux pas changer notre culture. Je ne veux pas que HBO ressemble à une usine.”

Il y a sûrement le moyen de changer une culture sans ressembler à une usine. Alors que Netflix subit en cette fin d’été un micro-retour de bâton avec Insatiable et Désenchant­ée, deux nouveautés mal reçues qui soulignent son côté bulldozer parfois sans queue ni tête, HBO a l’occasion de montrer sa créativité, son avance instinctiv­e sur la question des représenta­tions, son courage. Elle doit inventer la série qui changera tout. Pour cela, une remise en question profonde est nécessaire. La même qui hante aujourd’hui la plupart des médias de l’ancien monde.

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