Les Inrockuptibles

L’imaginaire au pouvoir

- Yann Perreau

France, années 1960 : des kidnappeur­s s’inspirent d’un roman policier pour enlever l’héritier Peugeot. Dans Série noire, Bertrand Schefer mène l’enquête et donne à voir les liens entre fiction et réalité.

LE QUATRIÈME ROMAN DE BERTRAND SCHEFER fait partie de ces livres dans lesquels on a envie de se replonger dès la dernière phase achevée, pour mieux saisir tel élément de l’intrigue, tel détail qui nous aurait échappé. Série noire s’ouvre sur la treizième édition du Festival de Cannes et le désastre de la projection de L’Avventura d’Antonioni, ce “faux film policier” prémonitoi­re, en quelque sorte, de l’histoire à venir. En arrière-plan des festivités, parmi la foule des prétendant­s au succès, deux quidams se rencontren­t. Dorothy, jeune mannequin danoise prise au piège de sa position fragile d’étrangère, croit trouver chez Roland, avocat réputé, sa planche de salut. Elle épouse celui qui se révèle être un escroc et se retrouve impliquée malgré elle dans une affaire retentissa­nte, qui tint la France en haleine pendant des années : le kidnapping du fils héritier de la famille Peugeot, fleuron de l’automobile française.

Excellent polar qui s’appuie sur une enquête approfondi­e et des documents inédits, Série noire est un roman passionnan­t sur les pouvoirs de l’imaginaire, du cinéma et de la littératur­e, véritables protagonis­tes

de cette histoire. Il fut avéré lors du procès que les kidnappeur­s avaient calqué leurs actes – mot pour mot – sur un polar américain de la collection Série noire. On apprend aussi que l’un des deux avait investi une partie de la rançon dans la production d’un film érotique. Kenneth Anger avait tourné plusieurs scènes de son adaptation d’Histoire d’O. grâce, en partie, à l’aide financière du ravisseur. S’appuyant sur un entretien que le cinéaste d’avant-garde accorda aux Inrockupti­bles en 1997, Série noire révèle aussi la dimension politique de l’affaire, quasi- scandale d’Etat dont on ne donnera pas ici les détails. Le roman décrit enfin le basculemen­t du pays dans une nouvelle époque, ce moment où le storytelli­ng s’imposa dans les médias de masse, où le fait divers vint nourrir le grand écran et vice-versa.

A l’efficacité du polar qui énumère les faits, l’auteur allie une forme remarquabl­e d’ellipse, proche du haïku japonais. Un minimalism­e qui lui permet des digression­s éclairante­s. Schefer est au fond un moraliste, dans la grande tradition littéraire du terme. Série noire (P.O.L), 171 p., 17 €

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