Les Inrockuptibles

Pas de deux et paires de baffes

- Fabienne Arvers

Bagarreur, parfois acteur, mais surtout danseur et fondateur de la compagnie Dairakudak­an, AKAJI MARO se raconte dans un livre d’entretiens. Une réjouissan­te plongée dans son univers.

QU’ON AIME LE THÉÂTRE, LA DANSE, le cinéma, la photograph­ie ou la littératur­e, les amateurs de name-dropping feront leurs délices de ce livre d’entretiens menés par Aya Soejima, consultant­e spectacles à la Maison de la culture du Japon à Paris, avec l’artiste japonais Akaji Maro. Si sa première venue en France remonte à 1982, invité par le Festival d’Avignon, il a ensuite fallu attendre deux décennies pour le redécouvri­r à Paris en 2007, où il est désormais un habitué de la Maison de la culture du Japon. Entre temps, on l’aura suivi au cinéma où son allure de yakuza se repère dans les films de Takeshi Kitano, Sion Sono ou Quentin Tarantino.

A la lecture du récit de sa vie, on est subjugué par deux aspects, non pas contradict­oires, mais inattendus et qui en font tout le sel : la découverte du Tokyo artistique des années 1960, en pleine période contestata­ire, où le jeune Maro se lance dans le théâtre d’avant-garde, le Shingeki, et son goût prononcé pour la bagarre. Goût partagé avec les artistes qu’il côtoie alors, tels que Hijikata, fondateur du butô, Mishima ou Araki : les discussion­s, arrosées, sur leurs pratiques artistique­s se règlent toujours par des batailles rangées.

A l’époque, Jûrô Kara et Shûji Terayama sont les deux piliers du théâtre undergroun­d japonais. Rivalité oblige, son récit d’une bagarre un soir de première qui se finit en garde à vue au poste de police résume parfaiteme­nt l’esprit du temps : “Le lendemain nous avons été libérés sur la foi de leurs témoignage­s qui certifiaie­nt qu’il s’agissait… d’une performanc­e.”

C’est pour se faire un peu de fric qu’il suit, en 1964, une danseuse chez Akira Kasai qui répétait un numéro de cabaret, le Kimpun Show, “un spectacle interprété par des danseurs quasi nus, aux corps huilés recouverts d’or”. Le soir même, il danse dans le quartier d’Ikebukuro et rencontre peu après Tatsumi Hijikata, “déjà célèbre comme danseur d’avant-garde. Il nommait son style Ankoku Butô, ‘la danse des ténèbres’. (…) Kasai et Hijikata avaient tous deux pour maître Kazuo Ohno”.

Hébergé plusieurs années chez Hijikata, il rencontre la crème de l’avant-garde artistique et s’éloigne du théâtre pour fonder sa compagnie, Dairakudak­an, et son style de danse, Tempo Tenshiki, un mot qu’il invente pour désigner une “cérémonie impulsée par les talents innés”. Akaji Maro est convaincu que “chaque danseur est une école”, notion fondamenta­le à la base de sa compagnie. De fait, parmi les membres fondateurs de Dairakudak­an, se trouvent Ushio Amagatsu qui crée ensuite sa compagnie Sankai Juku, ou Carlotta Ikeda et Kô Murobushi qui viennent s’installer en France.

Aussi puissant et raffiné que soit son art, on craque pour sa définition de l’artiste, si politiquem­ent incorrecte : “Vous savez, on devient artiste ‘parce qu’on est un gros fainéant !’ On n’a pas envie de travailler normalemen­t. Des paumés, des outsiders, des hors-castes, voilà ce qu’on est. Personnell­ement, j’avais juste le choix entre devenir délinquant ou artiste.”

Akaji Maro – Danser avec l’invisible d’Aya Soejima (Riveneuve Archambaud éditeur), 120 p., 12 €

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