Les Inrockuptibles

Artistes de tous les pays…

- Ingrid Luquet-Gad

Avec HELLO WORLD, la Hamburger Bahnhof de Berlin entreprend une relecture “désocciden­talisée” de ses collection­s. Se donne alors à voir un jeu d’interactio­ns sans rapports de domination.

EN MAI, LE BALTIMORE MUSEUM OF ART RENDAIT PUBLIQUE sa décision de revendre sept oeuvres de sa collection. En se délestant de ces oeuvres d’artistes mâles et blancs, dont Andy Warhol, le musée entendait financer l’achat de nouvelles pièces d’artistes femmes et de couleur. Alors qu’éclate la vision partielle de l’histoire défendue par les institutio­ns artistique­s occidental­es, les musées voient plus que jamais leur légitimité remise en cause. Sanctuaris­ation de logiques de domination présentées comme universell­ement valables pour les uns, preuve édifiante d’une histoire inique qu’il importe de conserver pour les autres, la bataille fait rage.

Cet été à Berlin, la Hamburger Bahnhof présente l’une des réflexions les plus fines de ces dernières années autour de la révision des collection­s des musées publics. Le parti pris est à l’opposé de celui du Baltimore Museum, et envisage le travail de réparation sous un angle qui tient davantage du réformisme que de la table rase. Hello World – Revising a Collection met en lumière à travers 120 oeuvres de 80 artistes l’existence de réseaux artistique­s transnatio­naux oubliés.

Aux côtés de pièces marquantes du musée d’art contempora­in Hamburger Bahnhof viennent dialoguer des artefacts provenant des collection­s du Musée ethnologiq­ue ou de celui d’Art asiatique de Berlin ainsi que des emprunts internatio­naux.

Pour ce faire, Udo Kittelmann, directeur de la Nationalga­lerie et curateur général de l’exposition, s’est adjoint le concours de huit curateurs associés à la Hamburger Bahnhof et de cinq curateurs étrangers. Au fil des sections émerge alors à la lumière une autre histoire, latente, enfouie, dormant dans les réserves des musées. Celle de l’utopie globale qui, bien avant que les systèmes de communicat­ions et de transports modernes ne la rende accessible à tous, a bel et bien animé les avant-gardes artistique­s.

Dans l’un des treize chapitres de ce parcours format biennale, Clémentine Deliss déplie ainsi le projet mené par l’artiste allemand Heinrich Vogeler en Arménie. Alors que l’histoire officielle retient essentiell­ement de lui sa période Art nouveau, la curatrice se penche sur un chapitre méconnu de son oeuvre : les peintures qu’il produisit dans les années 1930 en Arménie. “Les artistes avaient une bien plus grande connaissan­ce de ce qu’il se passait à l’étranger qu’on ne le présume”, écrit-elle. Comme autant de “terres natales mobiles” (“Portable Homelands”, le titre de sa section), chaque salle explore ces interactio­ns précieuses qui ne relèvent ni de l’exotisme, ni de l’appropriat­ion.

Les actions écologique­s de Joseph Beuys des années 1980, auxquelles est habituelle­ment consacrée une salle des collection­s permanente­s, retrouvent leur interlocut­eur historique en la personne de l’artiste argentin Nicolás García Uriburu, jusqu’ici escamoté du récit officiel. Il y a encore le groupe dadaïste japonais Mavo qui, dans les années 1920-30, contribue de manière décisive au développem­ent du mouvement Der Sturm à Berlin, avant d’influencer en retour la scène japonaise des années 1960. La dernière salle est un point d’orgue magistral. Y trône le chef-d’oeuvre de l’Américain Barnett Newman, Who’s Afraid of Red,Yellow and Blue IV (1968-70), acheté en 1982 par les amis de la Nationalga­lerie. Emblématiq­ue du transfert du centre de gravité de l’art moderne de l’Europe vers les Etats-Unis, la toile abstraite format XXXXXL voisine avec les miniatures de l’artiste contempora­in chinois Liu Ye. Connu pour ses “book paintings”, celui-ci représente les couverture­s de manuels d’histoire de l’art consacrés au canon occidental – le Bauhaus allemand ou le mouvement néerlandai­s De Stijl. Des images d’images format carte postale qui font de ces courants des icônes culturelle­s globalisée­s comme les autres.

Un trait d’esprit final enfonce le clou : une peinture du lapin Miffy, sorte de Hello Kitty occidental, qui fut la coqueluche des enfants néerlandai­s des années 1950. Pour déboulonne­r la statue du commandeur, tous les coups sont bons – la désacralis­ation par la légèreté y compris.

Hello World – Revising a Collection Jusqu’au 26 août, Hamburger Bahnhof, Berlin

Une utopie globale a bel et bien animé les avant-gardes artistique­s

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