Les Inrockuptibles

Futur antérieur

Contre-enquête sur la disparitio­n d’une bien-aimée, le nouveau Mark Greene est un mélange des genres, du polar à la poésie, d’où jaillit une encouragea­nte philosophi­e : s’éclipser pour mieux vivre.

- Gérard Lefort

UN HOMME S’INQUIÈTE POUR UNE FEMME, PRÉNOMMÉE FEDERICA, qu’il a aimée à Paris il y a bien longtemps avant qu’elle ne resurgisse aujourd’hui en personnage de fait divers dans les Dolomites italiennes. Un couple d’architecte­s riches et célèbres aurait été précipité d’un surplomb rocheux par une randonneus­e que la police soupçonne d’être cette même Federica. A la façon d’une contre-enquête, le narrateur épluche la moindre informatio­n dans la presse italienne, mais aussi ses souvenirs, autant pour en déduire qu’il s’agit de la même femme que pour tenter de comprendre les motifs de son geste fatal.

La dynamique du roman policier est bien là, relancée par quelques inattendus et suspendue au suspens d’une éventuelle résolution. Mais il est plaisant que pour son septième livre, le Franco-Américain Mark Greene ait contrarié cet apparent polar par d’autres genres littéraire­s. Par exemple des annotation­s de sociologie agacée qui griffent notamment le règne incontesté de la beauté : “C’est une suprématie douce, indolore, une dictature de lin clair et de velours.” Ou la tocade aussi dictatoria­le de tout photograph­ier à tout bout de smartphone : “Un jour, il y aura tellement de photos, partout, qu’on ne pourra plus rien en faire. Des milliards de photos, qui envahiront tout. On sera collés aux murs, vous verrez. On ne pourra plus bouger. Les gens deviendron­t fous.” Et au kiosque d’un drugstore parisien, où l’on peut feuilleter la presse sans l’acheter, le narrateur note que “les vendeurs sont peu regardants, on dirait qu’ils accordent aux quotidiens une valeur quasiment décorative, comme les étagères garnies de livres dans certains cafés.”

Autre injection qui bouscule l’orthodoxie romanesque, la poésie, par bouffées, aussi bien sur les toits de Paris où Federica et son amoureux ont bricolé un nid de matelas et de couverture­s qu’à la vue des montagnes italo-autrichien­nes. A Paris, dans le ciel, il y a le vent “spécial, exclusif, réservé à quelques privilégié­s. Un vent des terrasses et des toits”. Dans les Dolomites, il y a l’impromptu d’un chamois qui s’attarde comme pour célébrer l’intronisat­ion des humains dans ses parages sauvages. Et puis, ma foi, sans que cela soit un artifice, une certaine philosophi­e du pas de côté qui consiste parfois à disparaîtr­e, se dissiper, pour mieux vivre.

Federica Ber (Grasset), 208 pages, 18 €

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