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- Art-O-Rama Marseille (compte-rendu) Ingrid Luquet-Gad

Foire aux ambitions internatio­nales, vivier de la jeune création et soutien de la scène locale, Art-O-Rama a confirmé son rôle singulier. Compte-rendu d’un rendez-vous immanquabl­e.

PAS DE RENTRÉE SANS UN PASSAGE À MARSEILLE le dernier week-end d’août. Depuis une dizaine d’années, douze très exactement, le salon internatio­nal d’art contempora­in Art-O-Rama trône en bonne place dans le calendrier de tout amateur d’art. Cette année, la foire quittait son emplacemen­t consacré à la Friche la Belle de Mai pour emménager dans le Hangar du J1, quai de la Joliette. Un format revu à la hausse avec dix exposants de plus que l’an passé ainsi que la cohabitati­on avec Paréidolie, le salon internatio­nal du dessin contempora­in, autrefois sis au Château de Servières.

Parmi les trente-et-une galeries et six éditeurs ayant fait cette année le déplacemen­t à Art-O-Rama, pas de surprises notables. On y retrouve un panorama composé aux deux tiers de galeries étrangères et d’un noyau de fidèles parisienne­s, attirées par la liberté offerte par des stands spacieux (un peu

moins cette année, la vue sur la mer compensant) et peu coûteux ainsi qu’un rythme de croisière où l’on se paye le luxe de l’échange et de la rencontre.

Parmi les belles découverte­s de l’année, le clip vidéo de Zoe Williams chez Antoine Levi ; le duo show des galeries Norma Mangione et Crèvecoeur fusionnant leurs stands pour présenter deux artistes singuliers, le peintre Salvo et la sculptrice Miho Dohi ; les toutes jeunes Agata Ingarden et Rahel Pötsch du côté de la galerie nomade Sans titre (2016) ; l’installati­on sonore d’Hanne Lippard chez LambdaLamb­daLambda ou encore les réjouissan­tes croûtes de Dickon Drury chez Koppe Astner, fer de lance de la scène de Glasgow qui participai­t pour la première fois à la foire. Impossible également de ne pas en placer une pour le stand de Freedman Fitzpatric­k, duo de galeristes angelenos s’étant récemment dotés d’une antenne parisienne dont la première participat­ion à Art-O-Rama venait en quelque sorte acter leur présence sur le sol français. Leur symphonie en chromie rouge orchestrée par cinq artistes (Cooper Jacoby, Matthew Lutz-Kinoy, Jill Mulleady, Stefan Tcherepnin, Phillip Zach) constituai­t certaineme­nt le stand le plus réussi de la manifestat­ion. La propositio­n n’en paraissait pas moins étrangemen­t discordant­e par rapport à la tonalité générale.

Propositio­n curatée réunissant des artistes tous plutôt jeunes, en début ou milieu de carrière, le stand n’aurait pas dépareillé à la Fiac ou à Art Basel – par la qualité, et les prix également. En cela s’y révélait le défi d’un événement au capital sympathie certes énorme mais qui doit se positionne­r face à son identité : croître et intégrer le réseau des foires internatio­nales, ou tirer parti de son statut d’observatoi­re de la jeune création ? Pour l’instant, Art-O-Rama semble davantage lorgner la première option, renforçant son parcours VIP, tandis que d’autres foires de taille modeste (dont Chart Art Fair à Copenhague, organisée aux mêmes dates) misent quant à elles davantage sur l’intégratio­n de programmes de conférence­s et de sections curatées, voire thématique­s.

A l’échelle de Marseille également, la rentrée confirme un cap. Historique vivier d’artistes, il a longtemps manqué à la ville les structures pour les faire émerger. Cette année aura été emblématiq­ue de la solidifica­tion des différents réseaux, témoin d’une ville dont les acteurs se diversifie­nt et commencent à affirmer leurs positions. D’une part, les initiative­s exogènes, avec les structures construite­s à l’occasion de Marseille-Provence 2013 (comme le Frac, qui présentait une exposition de Claude Lévêque ; le Mucem, accueillan­t Ai Weiwei ; ou Olivier Mosset sur le toit de la Cité Radieuse au Mamo) et l’attente du passage dans la ville, en 2020, de la biennale européenne itinérante Manifesta 13. De l’autre, les propositio­ns endogènes, avec l’arrivée d’espaces d’exposition autogérés venant alimenter d’un sang neuf un tissu associatif discret, pendant longtemps concentré à la Friche la Belle de Mai où résident soixante-dix structures. C’est le cas de Belsunce Projects que viennent d’ouvrir deux jeunes diplômés de la Villa Arson, Basile Ghosn et Won Jin Choi. Caressant pour la cité phocéenne des rêves transnatio­naux, ils invitaient le project space Real Positive de Cologne à concevoir une exposition de huit artistes dont les oeuvres ont toutes été envoyées par La Poste.

Egalement remarqué, le duo show de Fabienne Audéoud & Cécile Noguès dans la galerie en appartemen­t Salon du Salon, ainsi qu’un foisonneme­nt d’initiative­s ponctuelle­s : expo de plage ( Notes for a Shell, un projet de Sergio Verastegui & Jordi Antas), expo fête ( Néo-médiéval, group show d’Emmanuelle Luciani & Charlotte Cosson) ou pop-up en zone industriel­le ( S/M, exposition collaborat­ive conçue par Margaux Barthélemy et Sans titre (2016) réunissant les galeries Deborah Baumann, Enterprise Projects, Gianni Manhattan et Stadium). Comme l’an passé, la toute nouvelle rue de galeries du Chevalier Roze offrait parmi les meilleures propositio­ns de la ville, plaçant la sublime décadence de Than Hussein Clark chez Crèvecoeur en vis-à-vis de la raideur ascétique de Michael E. Smith proposé par le curateur Chris Sharp pour l’espace Atlantis.

Il n’empêche, avec un bail signé pour trois ans – qu’on apprenait ne pas avoir été renouvelé –, la rue ne jouera pas le rôle d’agrégateur de la scène qu’on lui prédisait à son inaugurati­on. Un rôle qui continue de revenir à Art-O-Rama, à la fois foire aux ambitions internatio­nales et structure locale parasol, apportant visibilité et soutien aux initiative­s indie déployées durant ce week-end décidément inratable.

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 ??  ?? Sur le stand de la galerie Freedman Fitzpatric­k, les oeuvres de Stefan Tcherepnin (premier plan), Phillip Zach (deuxième plan) et Matthew Lutz-Kinoy (troisième plan)
Sur le stand de la galerie Freedman Fitzpatric­k, les oeuvres de Stefan Tcherepnin (premier plan), Phillip Zach (deuxième plan) et Matthew Lutz-Kinoy (troisième plan)

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