Retour progressif
A quoi reconnaît-on les grands albums ? Peut-être aux histoires qu’ils renferment :
N°2, par exemple, est de ces disques blindés de titres forts, comme 15 août 1970, où Catherine Ribeiro aborde de front un thème récurrent chez elle (le suicide). Peut-être aussi au fait qu’ils contiennent parfois des tubes étranges : sur Ame debout, il y a ainsi la chanson-titre, un morceau qui popularise alors sa voix lourde, baroque, qui se fait l’écho d’une écriture stylisée. Peut-être enfin, lorsque leurs innovations conservent toute leur beauté plusieurs décennies durant, à l’image de Paix où Ribeiro déploie sa pleine puissance derrière un tas de structures travaillées. S’il est aujourd’hui facile d’oublier l’importance révolutionnaire des longues et tardives sessions entamées par Ribeiro et le groupe de rock progressif Alpes au début des années 1970, la réédition par Anthology Recordings des trois albums enregistrés au cours de cette période ( N° 2, Ame debout et Paix) éclaire l’ambition esthétique d’une formation qui refusait alors les facilités et les automatismes de la production musicale française. Dans les années 1960, Catherine Ribeiro a elle-même surfé sur la vague yéyé. Elle a même adapté en français des chansons de Bob Dylan et de Pete Seeger. Mais ici, le temps de trois albums hautement incendiaires, elle se met en quête de nouvelles expressions à la fois musicales et vocales. On entend ainsi, dans ses hurlements, le chant de Grace Slick (du groupe Jefferson Airplane) ; les recherches sonores de Pink Floyd et de nombreux free jazzmen dans ses envolées mélodiques, aussi accidentées que perturbées ; et l’influence des mouvements sociaux de Mai 68 dans la plupart de ses textes. Comme pour rappeler que chez Catherine Ribeiro, anarchisme et avant-gardisme n’ont longtemps fait qu’un.