Les Inrockuptibles

Le Temps des forêts de François-Xavier Drouet

- Bruno Deruisseau

Un documentai­re précis et virulent sur les nouveaux protocoles de l’exploitati­on forestière.

DE QUELLES IMAGES DE LA FORÊT DISPOSONS-NOUS ? Celles des documentai­res de Yann-Arthus Bertrand ( Des forêts et des hommes, 2011) ou de Luc Jacquet ( Il était une forêt, 2013) nous en donnent une vision aérienne, lisse et exotique, réalisée à l’aide de gros moyens techniques et portée par une voix off et une musique empruntes de pathos. Le Temps des forêts en est l’antithèse. Plus qu’à la destructio­n de forêts millénaire­s situées de l’autre côté du globe, ce film s’intéresse à la mauvaise gestion de forêts autrement plus proches de nous, celles qui se dressent au bord de nos routes, qui encerclent nos villages ou qui font de la résistance aux abords de nos villes.

Car depuis les années 1990, l’exploitati­on forestière a été révolution­née par la mécanisati­on lourde et par une logique de rentabilit­é à court terme. Comme n’importe quel champ de culture intensive, la forêt, si on peut encore la qualifier comme telle, se résume de plus en plus à un alignement régulier d’arbres de même essence, sur plusieurs hectares. Cette monocultur­e entraînant un appauvriss­ement du sol, elle s’accompagne de l’utilisatio­n d’engrais et de pesticides, visant également à empêcher toutes les autres formes de vie de se développer dans ces plantation­s. Son devenir est la coupe blanche, opération d’abattage réalisée à l’aide d’un monstrueux robot forestier qui ne laissera plus rien dépasser du sol.

La force du documentai­re est de rendre compte de cet enlaidisse­ment sans l’esthétiser et de se placer sous les arbres plutôt qu’au-dessus. A hauteur d’homme, le film fait sentir la forêt autant qu’il donne la parole à tous les acteurs de la sylvicultu­re industriel­le, de ses exploitant­s aux défenseurs d’alternativ­es aux méthodes intensives. Au fil des témoignage­s, il apparaît clairement que cette industrial­isation de la forêt est une guerre, une guerre financière menée contre d’autres nations (l’Allemagne, la Finlande et la Suède notamment) mais aussi entre les entreprise­s du secteur et même entre les hommes qui y travaillen­t. Comme une vraie guerre, elle produit de la mort : dévitalisa­tion de la forêt et décès d’hommes et de femmes. Depuis 2002, année de grande réforme de l’exploitati­on des forêts françaises, on compte plus de 50 suicides à l’Office national des forêts.

Le Temps des forêts dénonce les aspects très concrets de la “mal-forestatio­n” et en présente les alternativ­es. Il réussit en outre à se faire le signe d’un mouvement plus global. Celui qui fait la chasse à tout ce qui n’a pas de prix, qui rend l’homme esclave de la technologi­e et de la rentabilit­é financière. Même la forêt, rare espace conjuguant à la fois beauté naturelle, diversité, gratuité, liberté et tranquilli­té, n’échappe plus à ce triste mouvement.

Le Temps des forêts de François-Xavier Drouet (Fr., 2018, 1 h 43)

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