Venise dans son temps
En contraste avec une édition cannoise où l’on a noté le conflit entre le festival et Netflix ainsi que la faible présence américaine, cette Mostra 2018 a marqué par un fort contingent de films américains attendus ( First Man de Chazelle, Roma de Cuarón, The Ballad of Buster Scruggs des Coen, A Star is Born de Bradley Cooper, Un 22 juillet de Paul Greengrass, Les Frères Sisters d’Audiard…) dont plusieurs prod Netflix. Ponctuellement, Venise semble donc dépasser Cannes, impression rapide qu’il convient de fortement nuancer. D’une part, le bon cinéma ne se réduit pas à Hollywood ou aux Gafa (voir par exemple les superbes films asiatiques montrés à Cannes). D’autre part, Frémaux et Lescure ont parié sur le moyen terme et l’intérêt général du cinéma (ils ont raison de trouver absurde que des films comme Roma puissent être montrés partout sauf en salles) alors que Barbera a choisi les intérêts à court terme de sa Mostra et a raison de ce point de vue de ne pas se priver de montrer des films Netflix si de bons cinéastes sont aux manettes.
Le sentiment général des observateurs est que la situation actuelle est transitoire : Cannes solutionnera tôt ou tard la question Netflix et un ex-journaliste de Variety me confiait être persuadé que des cinéastes américains tels que Tarantino reviendraient à Cannes. Enfin, après vision de la compétition vénitienne, il faut admettre que certains des grands noms attendus à Cannes et vus au Lido n’ont pas fait d’étincelles et que le bilan final est moins brillant que l’affiche. First Man a été tièdement reçu, de même que Sunset qui semble ne pas avoir séduit grand monde, alors que Buster Scruggs était de l’avis général un “petit” Coen.
La compétition prenait aussi quelques accents “berlinois” avec plusieurs films à “gros sujets” ne brillant pas spécialement par leur inventivité ou leur finesse ( Werk ohne Autor de Florian HVD, Un 22 juillet de Greengrass, At Eternity’s Gate de Julian Schnabel…). Les plus beaux éclats sont finalement venus de cinéastes en devenir (le délicat et bouleversant Amanda de Mikhaël Hers, ou Vox Lux, drôlatique et debordienne charge contre la pop culture de Brady Corbet) ou, à un degré moindre, de routiers chevronnés que l’on n’attendaient plus : Notre temps de Carlos Reygadas qui mixe drame psychologique et western, Capri-Revolution du Napolitain Mario Martone, étrange fable politique aussi paradoxale et divisée que son titre puisqu’elle mélange naturalisme à la Padre padrone et utopie écolo-hippie à la More. Bien que situé en 1914, Capri-Revolution résonne avec le grand débat actuel opposant productivisme et développement durable, tandis que des attentats étaient présents dans de nombreux films ( Amanda, 22 juillet, Vox Lux...) : la porosité avec l’actualité a été la marque de cette édition 2018.