Un Carrey trop rond ?
Dans la très attendue KIDDING, Jim Carrey interprète un marionnettiste célèbre et dépressif. D’après les premiers épisodes, dont certains réalisés par Michel Gondry, la série n’évite pas l’écueil de la mièvrerie.
QUE FAIRE DU GÉNIE QUAND IL DÉBORDE, quand il brûle trop fort ? C’était le sujet de Man on the Moon (1999), le grand film de Milos Forman où
Jim Carrey incarnait le comique bordeline des années 1970 Andy Kaufman. Aujourd’hui, la carrière entière du clown de Disjoncté (1996) et de l’acteur habité de The Truman Show (1998) semble avoir tenté de répondre à cette question. Il a toujours navigué entre le désir de jouer le jeu que lui demandait l’industrie et celui de le pervertir, par exemple à travers sa relation avec les allumés frères Farrelly avec lesquels il a tourné notamment Dumb and Dumber (1994) et Fou(s) d’Irène (2000). Depuis une décennie, et encore plus dans les années 2010, l’absence fut le premier réflexe du Canadien, fatigué par la gloire et par sa marque de fabrique trop usitée, les rictus d’un visage élastique, si expressif, si drôle, si malaisant aussi.
Le voir revenir dans l’une des séries les plus attendues de l’année, la comédie dramatique Kidding, intrigue forcément. C’est le versant littéralement dépressif de Carrey que l’on retrouve dans les pas d’un marionnettiste pour enfants, Mr. Pickles, dont l’émission cartonne et lui rapporte des millions. Mais cet homme au visage aussi juvénile que centenaire n’en peut plus. Il vient de connaître un drame terrible et peine à respirer. Il a perdu son jeune fils dans un accident. Il est séparé de sa femme, la mère de cet enfant, déjà recasée avec un autre. Il gère avec difficulté sa relation de travail avec son père. La culpabilité le ronge. Alors, il se met à marcher de travers et décide de parler à ses jeunes spectatrices et spectateurs de la mort.
Il se retire du marché des winners.
Le spectacle d’un homme qui s’effondre et veut retrouver un autre monde, une réalité qu’il espère plus douce ou encore plus noire, selon les jours, se joue ici sans tambours ni trompettes, dans un esprit lo-fi qui fait évidemment penser à la tristesse joueuse d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind, le film qui marqua la rencontre entre Jim Carrey et Michel Gondry en 2004. Les deux hommes sont à nouveau réunis puisque Gondry réalise plusieurs épisodes de Kidding, imprimant son goût des saynètes poétisées à ce récit de deuil et de reconstruction. Si un certain charme opère, une émotion qui marque aussi l’acceptation par le cinéaste français de son versant sentimental, la série souffre aussi d’un abus de premier degré, quand trop de fragilité avouée tue la fragilité.
La souffrance de cet homme, aussi bouleversante soit-elle sur le papier, ne produit pas toujours mystère et attachement. En mettant en scène de manière appuyée sa propre délicatesse, son amour des “petits riens” disparus, Kidding peut même franchement agacer, du moins dans les trois premiers épisodes que nous avons pu voir. Si le cinéma indépendant américain des années 2000 a migré définitivement dans les séries – parfois pour le meilleur –, on en perçoit ici les tics résiduels, le culte pas toujours très original des personnages brisés et des drames chuchotés. Il reste à attendre que le récit déroule complètement son spectre puisque cette première saison compte huit épisodes ; et à croire au talent de Jim Carrey, qui sait comme personne pousser ses personnages vers leurs limites.