Les Inrockuptibles

Gimme shelter

- Vincent Brunner Prendre refuge (Casterman), 344 p., 24 €

Entre l’Afghanista­n et Berlin, la Seconde Guerre mondiale et nos jours, MATHIAS ÉNARD et ZEINA ABIRACHED évoquent le déracineme­nt dans cette BD très poétique.

DÈS L’OUVERTURE, LES YEUX SONT ATTIRÉS PAR UN CIEL ÉTOILÉ où se distingue la constellat­ion d’Orion. Ensuite, ils s’ouvrent en grand devant un spectacle impression­nant, les Bouddhas de Bâmiyân, ces trois statues géantes construite­s au centre de l’Afghanista­n et détruites en 2001 par les Talibans. Mais c’est dans un appartemen­t berlinois, lors d’un dîner entre amis, que l’action débute véritablem­ent. Les premières pages s’ingénient à nous faire perdre nos repères, sans doute pour que l’on saisisse mieux l’état d’esprit de Nayla, enseignant­e syrienne qui a fui son pays et prend des leçons d’allemand auprès de Karsten. Etrangers l’un à l’autre, les deux peinent à se comprendre. S’installe entre eux un jeu de séduction maladroit et attendriss­ant.

Pour ce livre réalisé à quatre mains, la dessinatri­ce Zeina Abirached et le romancier Mathias Enard se sont inspirés des rapports entre Occident et Orient. Une préoccupat­ion commune : Abirached l’a abordée dans Le Piano oriental et Enard dans Boussole. Ce dernier, prix Goncourt 2015, évoquait déjà les écrivaines Ella Maillart et Annemarie Schwarzenb­ach – ici, dans une intrigue secondaire, elles découvrent l’Afghanista­n en 1939. Il contenait aussi l’incipit, empreint de bouddhisme, de Prendre refuge. Cependant, cet album n’a rien d’un roman illustré. S’il joue avec les mots, c’est le langage de la BD qu’il explore. Le graphisme épuré, d’apparence simple mais d’une efficacité redoutable, provoque l’empathie avec très peu.

Deux traits suffisent à transmettr­e l’abattement des migrants en quête de papiers, un gros plan sur un visage reflète une complicité amoureuse naissante.

Le noir et blanc s’épanouit au point de faire imaginer les couleurs de parterres de fleurs. Les épatantes idées de mise en scène et les trouvaille­s symbolique­s – une double page se confondant avec la table du dîner ou les onomatopée­s prenant vie – apportent à l’histoire des touches de poésie. En revanche, bien que le dessin adoucisse le propos, il ne peut désamorcer la violence de ce récit bouleversa­nt.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France