Lara, seule et libre
SHADOW OF THE TOMB RAIDER, très réussi nouvel épisode des aventures de Lara Croft, est l’occasion de revenir sur l’évolution et la perception du personnage.
UN BODY VERT ÉMERAUDE, UN SHORT MARRON, UN HOLSTER NOIR, deux pistolets accrochés à la ceinture et un petit sac à dos. Il n’en faut pas plus pour reconnaître Lara Croft. La légendaire icône du jeu vidéo fait son retour dans une toute nouvelle aventure, Shadow of the Tomb Raider, dernier épisode d’une trilogie reboot amorcée en 2010 par l’éditeur japonais Square Enix, et racontant ses premiers pas en tant qu’intrépide archéologue. “Quand on a débuté cette nouvelle trilogie, on a réexaminé le personnage et on a essayé d’en avoir une approche plus réaliste et plus sombre, comme celle réservée au Batman de Christopher Nolan ou au James Bond de Casino Royale, explique le directeur narratif du jeu, Jason Dozois. Dans le premier épisode, Lara essayait simplement de survivre et n’avait aucune expérience. Dans le second, elle a découvert l’organisation qui était derrière l’assassinat de son père et devenait plus forte. Maintenant, elle fait face à ses erreurs et doit agir avec intelligence pour maîtriser l’environnement dans lequel elle évolue.”
Après un terrible crash d’avion, Lara se retrouve plongée dans une jungle amazonienne hostile. Dès ses premiers pas, on la voit se frayer fébrilement un chemin au milieu des lianes humides et des arbres millénaires. Et pour cause, le danger rôde partout. De derrière un baobab ou une feuille de bananier peuvent jaillir des jaguars dont il sera très compliqué de se débarrasser. Comme dans Predator, on doit apprivoiser la nature et faire corps avec elle
(en s’enduisant de boue ou en se bricolant des armes) pour parvenir à survivre. Le rendu visuel de cette faune sauvage (notamment les effets de lumière) e t les bruissements qui l’accompagnent sont particulièrement réussis. On se surprend même à contempler la forêt tel
Yann Arthus-Bertrand dans son hélico. Au cours de l’aventure, on traverse des ruines aztèques jalonnées de pièges retors mais aussi des fonds sous-marins gorgés de murènes ou de piranhas. Comme dans les premiers épisodes de la saga, le jeu joue davantage la carte de l’exploration et des énigmes à résoudre que des combats en cascade. Shadow of the Tomb Raider favorise d’ailleurs l’infiltration discrète façon Metal Gear Solid plutôt que les gunfights bourrins.
Au bout de trois heures de jeu, Lara est amenée à faire une halte dans un village péruvien où elle peut se ravitailler, acheter des armes et discuter avec la population locale afin de recueillir des indices indispensables à sa quête. “Elle doit maîtriser la culture et l’histoire de la civilisation ancienne à laquelle elle fait face pour progresser, assure Jason Dozois. On a voulu ajouter une dimension anthropologique au jeu mais aussi casser son image de bimbo ou de superhéroïne. En effet, sans l’aide des autres, elle ne peut pas s’en sortir.”
Héroïne féministe pour les uns, fantasme sexiste pour les autres,
Lara Croft a toujours fait l’objet d’intenses débats depuis sa création en 1996.
A ses débuts sur PlayStation (et Saturn, l’éphémère console de Sega), Tomb Raider est une petite révolution. Il s’agit non
“On a voulu ajouter une dimension anthropologique au jeu mais aussi casser son image de bimbo”
JASON DOZOIS, DIRECTEUR NARRATIF DU JEU
seulement d’un des premiers gros jeux d’aventure en 3D mais aussi du premier où une femme tient le rôle principal. Librement inspirée de l’héroïne badass du comic britannique Tank Girl, Lara Croft est vue par ses concepteurs comme une Indiana Jones pouvant séduire un public féminin alors délaissé par les éditeurs.
“Elle a fait évoluer la représentation des femmes dans le jeu vidéo, affirme Alexandre Serel, auteur d’une volumineuse Histoire de Tomb Raider. C’était une héroïne belle mais surtout intelligente.” Dans son livre, Serel raconte comment le coté pin-up du personnage a progressivement échappé à ses créateurs – l’éditeur Eidos voyant surtout dans l’aventurière un moyen d’exploiter commercialement un “95D armé jusqu’au cou”. “Au fil du temps, les concepteurs de Lara Croft ont réduit son tour de poitrine pour lui offrir des proportions physiques réalistes mais Eidos continuait à afficher une poitrine de plus en plus opulente sur les jaquettes des jeux et sur des pubs racoleuses.” A l’époque, la presse vidéoludique n’est pas en reste et rares sont les articles qui s’abstiennent de commentaires salaces (“A moi la petite Lara ! Je vais la faire ramper, couiner...”, peut-on lire dans la revue Joystick en 1996).
Aujourd’hui libérée de cette image de bimbo et de support fantasmatique comme le prouve ce nouvel épisode de la saga, Lara Croft pourrait bien devenir un symbole pour de futures générations de gameuses. “C’est un personnage extrêmement apprécié par les femmes. Elle restera dans l’histoire comme l’héroïne qui n’a pas besoin des hommes pour parvenir à ses fins”, conclut Alexandre Serel.