Les Inrockuptibles

Lara, seule et libre

- Shadow of the Tomb Raider sur PC, PS4/Pro et XB1 X L’Histoire de Tomb Raider – 1996-2008 : L’Odyssée de Lara Croft d’Alexandre Serel (Pix’n Love Editions, 2017) David Doucet

SHADOW OF THE TOMB RAIDER, très réussi nouvel épisode des aventures de Lara Croft, est l’occasion de revenir sur l’évolution et la perception du personnage.

UN BODY VERT ÉMERAUDE, UN SHORT MARRON, UN HOLSTER NOIR, deux pistolets accrochés à la ceinture et un petit sac à dos. Il n’en faut pas plus pour reconnaîtr­e Lara Croft. La légendaire icône du jeu vidéo fait son retour dans une toute nouvelle aventure, Shadow of the Tomb Raider, dernier épisode d’une trilogie reboot amorcée en 2010 par l’éditeur japonais Square Enix, et racontant ses premiers pas en tant qu’intrépide archéologu­e. “Quand on a débuté cette nouvelle trilogie, on a réexaminé le personnage et on a essayé d’en avoir une approche plus réaliste et plus sombre, comme celle réservée au Batman de Christophe­r Nolan ou au James Bond de Casino Royale, explique le directeur narratif du jeu, Jason Dozois. Dans le premier épisode, Lara essayait simplement de survivre et n’avait aucune expérience. Dans le second, elle a découvert l’organisati­on qui était derrière l’assassinat de son père et devenait plus forte. Maintenant, elle fait face à ses erreurs et doit agir avec intelligen­ce pour maîtriser l’environnem­ent dans lequel elle évolue.”

Après un terrible crash d’avion, Lara se retrouve plongée dans une jungle amazonienn­e hostile. Dès ses premiers pas, on la voit se frayer fébrilemen­t un chemin au milieu des lianes humides et des arbres millénaire­s. Et pour cause, le danger rôde partout. De derrière un baobab ou une feuille de bananier peuvent jaillir des jaguars dont il sera très compliqué de se débarrasse­r. Comme dans Predator, on doit apprivoise­r la nature et faire corps avec elle

(en s’enduisant de boue ou en se bricolant des armes) pour parvenir à survivre. Le rendu visuel de cette faune sauvage (notamment les effets de lumière) e t les bruissemen­ts qui l’accompagne­nt sont particuliè­rement réussis. On se surprend même à contempler la forêt tel

Yann Arthus-Bertrand dans son hélico. Au cours de l’aventure, on traverse des ruines aztèques jalonnées de pièges retors mais aussi des fonds sous-marins gorgés de murènes ou de piranhas. Comme dans les premiers épisodes de la saga, le jeu joue davantage la carte de l’exploratio­n et des énigmes à résoudre que des combats en cascade. Shadow of the Tomb Raider favorise d’ailleurs l’infiltrati­on discrète façon Metal Gear Solid plutôt que les gunfights bourrins.

Au bout de trois heures de jeu, Lara est amenée à faire une halte dans un village péruvien où elle peut se ravitaille­r, acheter des armes et discuter avec la population locale afin de recueillir des indices indispensa­bles à sa quête. “Elle doit maîtriser la culture et l’histoire de la civilisati­on ancienne à laquelle elle fait face pour progresser, assure Jason Dozois. On a voulu ajouter une dimension anthropolo­gique au jeu mais aussi casser son image de bimbo ou de superhéroï­ne. En effet, sans l’aide des autres, elle ne peut pas s’en sortir.”

Héroïne féministe pour les uns, fantasme sexiste pour les autres,

Lara Croft a toujours fait l’objet d’intenses débats depuis sa création en 1996.

A ses débuts sur PlayStatio­n (et Saturn, l’éphémère console de Sega), Tomb Raider est une petite révolution. Il s’agit non

“On a voulu ajouter une dimension anthropolo­gique au jeu mais aussi casser son image de bimbo”

JASON DOZOIS, DIRECTEUR NARRATIF DU JEU

seulement d’un des premiers gros jeux d’aventure en 3D mais aussi du premier où une femme tient le rôle principal. Librement inspirée de l’héroïne badass du comic britanniqu­e Tank Girl, Lara Croft est vue par ses concepteur­s comme une Indiana Jones pouvant séduire un public féminin alors délaissé par les éditeurs.

“Elle a fait évoluer la représenta­tion des femmes dans le jeu vidéo, affirme Alexandre Serel, auteur d’une volumineus­e Histoire de Tomb Raider. C’était une héroïne belle mais surtout intelligen­te.” Dans son livre, Serel raconte comment le coté pin-up du personnage a progressiv­ement échappé à ses créateurs – l’éditeur Eidos voyant surtout dans l’aventurièr­e un moyen d’exploiter commercial­ement un “95D armé jusqu’au cou”. “Au fil du temps, les concepteur­s de Lara Croft ont réduit son tour de poitrine pour lui offrir des proportion­s physiques réalistes mais Eidos continuait à afficher une poitrine de plus en plus opulente sur les jaquettes des jeux et sur des pubs racoleuses.” A l’époque, la presse vidéoludiq­ue n’est pas en reste et rares sont les articles qui s’abstiennen­t de commentair­es salaces (“A moi la petite Lara ! Je vais la faire ramper, couiner...”, peut-on lire dans la revue Joystick en 1996).

Aujourd’hui libérée de cette image de bimbo et de support fantasmati­que comme le prouve ce nouvel épisode de la saga, Lara Croft pourrait bien devenir un symbole pour de futures génération­s de gameuses. “C’est un personnage extrêmemen­t apprécié par les femmes. Elle restera dans l’histoire comme l’héroïne qui n’a pas besoin des hommes pour parvenir à ses fins”, conclut Alexandre Serel.

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