Les Inrockuptibles

La vie devant soie

La vie d’une jeune femme bascule grâce à un vêtement qui la métamorpho­se. Avec Le Chemisier, BASTIEN VIVÈS signe une fable moderne d’une grande maîtrise.

- Vincent Brunner

LA NAGEUSE DU “GOÛT DU CHLORE”, la danseuse de Polina, Marianne et Elorna vues dans Lastman – la série conçue avec Balak et Sanlaville –, Hélène dans

Une soeur… Cela fait une décennie que les personnage­s féminins servent de moteur aux albums de Bastien Vivès. Séverine, la protagonis­te du Chemisier, confirme cette tendance dramaturgi­que et parfois fantasmati­que (les transgress­ifs Les Melons de la colère et La Décharge mentale).

Si cette étudiante en lettres se distingue des figures de papier précédente­s, c’est justement parce que l’auteur la présente comme effacée, spectatric­e d’une vie rangée avec, à la clé, un copain indifféren­t.

L’imprévu va se concrétise­r sous la forme d’un vêtement en soie qu’elle revêt après une soirée de baby-sitting. Comme s’il s’agissait d’un costume de superhéroï­ne, Séverine se trouve métamorpho­sée.

Non seulement elle attire les regards mais, surtout, elle refuse dorénavant une routine qu’elle tord selon des envies parfois impulsives. L’intrigue repose donc sur un coup de baguette magique.

Pourtant, dès les premières pages, cette histoire improbable se révèle crédible grâce au trait de Bastien Vivès, à sa facilité à jouer avec notre perception. Ses cadrages, son sens des ellipses, visant juste en dessinant tels gestes et telles postures, rendent Séverine magnétique, et chacune de ses rencontres, intense. Fable moderne sur la prise de pouvoir d’une femme vis-à-vis de son existence, Le Chemisier, gorgé de surprises, zigzague devant nos yeux.

Opérant dans le registre de la comédie ambiguë parfois très sexuelle, ce livre ne constitue pas un monde fermé ; il laisse une petite place aux événements qui ont secoué la France ces dernières années. Mais s’il y fait écho, c’est sans trop souligner ou caricature­r. Infatigabl­e narrateur de plus en plus sûr de ses forces, Vivès parvient ici à un fascinant point d’équilibre. Se cachant derrière un titre à la banalité assumée, ce Chemisier, pas prêt d’être démodé ou oublié dans un dressing, montre à sa manière passionnée combien la BD reste un médium vivant.

Le Chemisier (Casterman), 208 p., 20 €

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