Outsiders à Toronto
C’est entendu : les films américains ne vont plus à Cannes, effrayés par l’accueil critique notoirement cyclothymique qui y fait et défait les réputations, craignant de démarrer trop tôt la course aux oscars et de se retrouver essoufflés l’hiver venu. Quand, de surcroît, on explique à ceux battant pavillon Netflix qu’ils ne sont pas les bienvenus sur la Croisette, un boulevard s’ouvre à la concurrence : Venise, et Toronto surtout. L’ambitieux festival canadien fut-il à la hauteur de l’enjeu ?
Côté oscars, quatre sérieux prétendants, lauréats ces dernières années, se faisaient face, prêts à rejouer les grands duels du passé : celui de 2014, avec Alfonso Cuarón (Roma) versus Steve McQueen (Les Veuves), celui de 2017, avec Damien Chazelle (First Man) et Barry Jenkins (If Beale Street Could Talk). Alors que Cuaron, Lion d’or à Venise, semble tenir la corde avec sa ronflante méditation fellino-tarkovskienne en noir et blanc sur la vie d’une bonne mexicaine dans les 70’s, il est loin d’être notre favori. C’est plutôt Steve McQueen que nous aimerions voir tout en haut, lui qui a su descendre de son piédestal pour réaliser un brillant film de genre, sans pompe aucune. Netflix, quant à eux, alignaient à Toronto quatre de leurs “originals” les plus prestigieux, sans convaincre davantage qu’avec leur lot commun : outre Roma (qui a au moins le mérite de ressembler à tout sauf à un film Netflix), Un 22 Juillet de Paul Greengrass, Hold the Dark de Jeremy Saulnier et Outlaw King de David Mackenzie
– tous précédemment défendus dans ces colonnes – ont déçu à des degrés divers. Il y a décidément quelque chose de pourri au royaume du stream.
Les meilleurs, finalement, furent les outsiders. Claire Denis, boudée de façon incompréhensible par Venise, a mis Toronto K.O. avec son sublime High Life, film de science-fiction en langue anglaise, porté par un Robert Pattinson plein de sève et une Juliette Binoche vénéneuse, qui serait un peu à Interstellar ce que Solaris fut à 2001 : une épopée rentrée. Jonah Hill a de son côté gagné ses galons de réalisateur avec Mid90s, qui est bien plus que la vignette vintage teen attendue : un grand film sur la fraternité. Enfin, la plus belle surprise vint d’un cinéaste que l’on n’avait jamais cessé d’aimer, mais que l’on attendait pas à cet endroit-ci de l’industrie : Green Book de Peter Farrelly (sans son frère Bobby) fut un triomphe, repartant avec le prix du public et un colossal buzz à oscars, tout en étant infiniment plus subtil et retors que ce que sa gangue de feel good comedy politiquement consciente (un pianiste noir et son chauffeur blanc, en goguette dans le sud raciste des Etats-Unis en 1962) laisserait présumer. Le(s) Farrelly’s back !