Les Inrockuptibles

Grand Blanc

Avec un deuxième album collectif et racé, les Messins de GRAND BLANC frappent fort et trouvent leur place au coeur du rock français. Nous les avons croisés à Paris.

- TEXTE Pierre Siankowski PHOTO Boris Camaca

Avec un deuxième album collectif et racé, les Messins trouvent leur place au coeur du rock français

ILS AVANCENT DANS UNE RUE DE PARIS, DISCRETS ET GROUPÉS, EN PARLANT ENSEMBLE, PRESQUE SANS SE RETOURNER. Les quatre de Grand Blanc évoquent bien sûr la sortie de leur nouvel et deuxième album, Image au mur. En tête de cortège, il y a Benoît David et Luc Wagner, et juste derrière Vincent Corbel (alias Korben) et Camille Delvecchio. Il y a des blagues, des rires, il y a quelques doutes à dissiper mais surtout beaucoup d’envie. On trouve chez ces jeunes gens quelque chose de forcément sublime : une façon bien à eux de porter – sur leurs frêles épaules – l’histoire et la tradition d’un rock indépendan­t à la française, avec son histoire, ses codes, ses exigences, et ses inquiétude­s naturellem­ent. L’aventure de Grand Blanc est belle et singulière. Elle a débuté en 2014 avec un premier ep, Grand Blanc, puis un second, Montparnas­se, en 2015, qui fixaient assez bien l’élégance et la profondeur de l’univers de ce groupe originaire de Metz, venu tenter sa chance à la capitale sous la houlette du label Entreprise (celui de Moodoïd ou de Fishbach). En 2016, c’est Mémoires vives, premier album largement salué dans ces colonnes, qui venait installer pour de bon la musique ouverte et racée de ces quatre-là. S’ensuivait une grande tournée française et un concert à Rock en Seine qui impression­na et fit date de chez date. En quatre ans à peine, Grand Blanc s’est donc fait une place de choix dans la scène d’ici, aux côtés de La Femme, de Feu ! Chatterton ou encore de Moodoïd et Flavien Berger.

Et en 2018, c’est donc avec Image au mur que le groupe entend s’imposer encore davantage. Un disque qui a été pensé en fonction des aventures précédente­s, comme l’explique assez clairement Korben une fois le groupe installé à une terrasse de café. “La genèse de Grand Blanc, c’est beaucoup autour de la production de son. Ce nouvel album est un peu moins produit que le premier, je trouve. Parce qu’à la fin, tu peux te cacher uniquement derrière ça, mais ça n’est pas satisfaisa­nt : on est donc plus allés vers le songrwitin­g”, dit il en employant l’une de ces expression­s qui fait le sel du rock indé – et qui déclenche le rire de ses camarades.

Korben a raison, ce nouvel album de Grand Blanc est une merveille d’écriture, que Benoît David et Camille Delvecchio magnifient de leur voix, sur chaque titre, partagé ou pas. C’est beau, c’est juste, c’est ambitieux, on y croise autant John Fante que John Carpenter, et l’on se fait vite happer par la douceur avec laquelle Grand Blanc déverse des mots qui sont pourtant parfois empreints de la plus grand cruauté. Et on a aussi envie, à l’écoute de leur musique, de croire en cette notion qui peut paraître à certains obsolète, mais qui chez ces jeunes gens bien a été placée au coeur du système : le collectif. La parole est donnée à Benoît David : “Tu peux penser qu’un groupe, c’est une machine à faire des chansons, mais c’est plus que ça, c’est un collectif. Il ne suffit pas d’écrire des chansons, il faut travailler pour bien s’entendre, il faut bosser sur l’énergie qui circule entre nous.”

Concentré et sûr de ses forces, Grand Blanc a ainsi oeuvré pendant près de deux ans à mettre au point ce qui apparaît aujourd’hui comme l’un des plus beaux disques de l’année 2018. Un disque qui devient vite un compagnon et dont on se retrouve à fredonner les textes sans crier gare : on pense à ceux de Belleville ou de Los Angeles, ou encore à Rivière, morceau pop parfait tout droit échappé des années 1980 et qui rend son hommage (bien mérité) à la grande Viktor Lazlo. On se retrouve aussi happé par les univers plus existentie­ls de Rêve BB rêve, des deux parties d’Ailleurs, ou encore de Télévision, avec leurs paroles plus aériennes et aérées, mais qui font mouche de ouf. “Sur la tournée du premier album, on a compris qu’un disque c’était une sorte de mantra”, explique Benoît David.

Si les mots se manipulent avec aisance chez Grand Blanc, c’est aussi parce que le groupe, au-delà des références qu’on souhaitera­it de fait lui imputer, et qui passent autant par la new-wave, la pop et le rock, possède aussi comme ceux de sa génération une culture hip-hop qui sait délier et faire sautiller la langue. Korben : “Quand on a grandi, les trucs modernes en langue française, c’était le hip-hop : NTM, Lunatic, IAM, on écoutait plus ça que Noir Désir ou Dominique A.” Et c’est vrai que dans les images mentales suggérées et au travers des jeux sur les textes, l’on retrouve un appétit plus rap que rock. C’est assumé, c’est revendiqué, et c’est à l’image de la liberté qui s’échappe de Grand Blanc et de sa musique.

Après toutes ces années d’existence, les quatre semblent être plus déterminés que jamais, et n’ont pas envie de s’interdire ce succès qui devrait leur revenir de droit. Camille Delvecchio, avec l’approbatio­n de ses petits camarades : “Pour notre premier concert à Metz, on nous avait demandé une bio qu’on était incapables de faire, et on s’est retrouvés avec un texte dans lequel

“J’ai l’impression qu’on est toujours un peu en mouvement, on ne sait pas toujours vers où il faut aller et tant mieux, on avance aussi beaucoup au feeling !”

KORBEN

on disait que nous étions des ‘artistes reclus’. C’est vrai qu’on regardait nos pieds, et qu’on laissait passer une minute trente entre chaque morceau ! Sans parler ! On ne savait pas trop où on allait, jusqu’au jour où on a compris que quand on arrivait ensemble à faire quelque chose de supérieur à ce qu’on aurait fait seul, on avait gagné.” Le collectif, encore une fois, cette volonté d’avancer ensemble à un moment où la musique et où la structure de son industrie commandent de tout faire tout seul, de la création jusqu’au live. A un moment aussi où les aventures sont de plus en plus numériques et de moins en moins humaines.

A l’inverse, chez Grand Blanc, on avance et on cherche ensemble, les coudes bien serrés, avec cette certitude que cela crée une ambiance nécessaire à la plus-value : “Dans notre musique, il y a toujours eu, et surtout sur le premier album, un côté un peu savant fou. On découvrait les effets, c’était une période extrêmemen­t ludique. On a essayé de garder ce côté-là en le maîtrisant un peu plus sur ce nouveau disque. Mais évidemment, il existe un plaisir à être ensemble et à essayer des choses, à toucher tous les boutons, à tenter sans cesse de nouveaux trucs, rien que pour voir comment les autres vont réagir.” Korben poursuit en grand sage : “J’ai l’impression qu’on est toujours un peu en mouvement, on ne sait pas toujours vers où il faut aller et tant mieux, on avance aussi beaucoup au feeling !”

Et c’est vrai que sur Image au mur, il est difficile de se laisser prendre les pieds dans une quelconque routine. Les pistes sont multiples, les voix s’entremêlen­t, les mélodies se chevauchen­t pour un résultat absolument bluffant de singularit­é. La musique de Grand Blanc n’appartient qu’à Grand Blanc, même si au sein du groupe on réfute l’existence de toute forme de formule. “On fait de la musique à quatre, on est content quand il nous arrive de faire un truc auquel on ne s’attendait pas. Quand on est surpris, c’est là qu’on se dit que c’est un morceau de Grand Blanc”, explique Benoît David. Il enchaîne :

“On cherche sans cesse, il n’existe aucune certitude. Parfois, ça peut rendre le truc inconforta­ble, mais il y a un charme à toujours chercher pour trouver une solution.”

Le côté intello ? Il est bien sûr assumé et, pour le groupe, c’est tout sauf un gros mot. En plein milieu de l’entretien, Korben laissera d’ailleurs échapper au sol un livre de Mishima et ce juste après que Benoît David aura évoqué un texte séminal de Walter Benjamin, Expérience et pauvreté. Dévoreuse d’images et de cinéma, Camille Delvecchio nous demande s’il faut vraiment citer des références, sous le regard complice de Luc Wagner.

Grand Blanc est une belle machine, un groupe en perpétuell­e réinventio­n qui se porte aujourd’hui en première ligne pour imaginer le rock français à venir – puisqu’il faut bien donner un nom à tout cela. Surtout, les quatre ont envie d’en découdre sur scène avec ce disque ouvert et généreux qui devrait trouver sa place aux quatre coins de France. Car comment ne pas trouver attachante et ne pas vouloir suivre au bout du monde cette troupe qui depuis plusieurs années ne cesse de nous impression­ner et de construire, en toute humilité, une discograph­ie qui sans aucun doute suscitera des commentair­es et des vocations. Car c’est une certitude, au fil des années, Grand Blanc est devenu très grand.

Album Image au mur (Entreprise)

Concerts Le 18 octobre à Clermont-Ferrand, le 19 à Montpellie­r, le 9 novembre à Rennes, le 10 à Caen, le 16 à Rouen, le 22 à Bordeaux, le 26 à Paris (Cigale), le 28 à Feyzin, le 6 décembre à Rezé, le 21 mars à Boulogne-sur-Mer

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