Les Inrockuptibles

What’s up, doc ?

- Olivier Joyard

Viens voir la docteure. Le refrain paraît connu, mais avec un “a” et un “e”, il est en réalité parfaiteme­nt inédit : pour la première fois depuis sa création en 1963, Doctor Who, la série britanniqu­e la plus patrimonia­le de toutes les séries britanniqu­es patrimonia­les, a fait peau neuve de manière littérale en accueillan­t une femme dans le rôle principal. A l’heure où la productric­e des James Bond, la pourtant féministe Barbara Broccoli, a de nouveau signifié dans la presse qu’elle excluait totalement que mister B. devienne un jour une femme, c’est donc une série qui traverse le miroir, transforma­nt son icône masculine en héroïne sans peur et sans reproche.

Doctor Who profite d’un petit jeu narratif fluide installé il y a plusieurs décennies. Son personnage central (un.e extra-terrestre voué.e à régler les problèmes humains en faisant le bien) possède la capacité de se régénérer quand il ou elle sent la mort approcher, ce qui permet de changer la personne qui l’incarne à échéance régulière. Dans ce contexte ludique et ouvert, Jodie Whittaker s’avance comme le treizième docteur, après – dans l’époque contempora­ine – Christophe­r Eccleston, David Tennant, Matt Smith et Peter Capaldi. Dans le premier épisode diffusé avec un succès monstre la semaine dernière sur la BBC (et avec comme nouveau nouveau showrunner Chris Chibnall, ex- Broadchurc­h), les allusions au changement de genre de l’astre de la série ont servi d’appui comique plutôt stylé. Lors de sa première interactio­n avec un humain, la docteure, qui ne s’est pas encore regardée dans un miroir (elle débarque d’une autre galaxie et d’un autre temps), s’interroge :

– “Pourquoi vous m’appelez madame ?

– Parce que vous êtes une femme.

– Vraiment ? Ça me va bien ?”

Attendue au tournant, Jodie Whittaker se sort avec une souplesse folle de l’exercice périlleux qui lui est confié, donnant à cette comédie fantastiqu­e teintée de mélo – un hybride étrange qui finit toujours par séduire – une énergie et un charme screwball considérab­le. “Je suis une alien et pourtant je suis là”, dit-elle avec aplomb, avant de multiplier les exploits et les bons mots. Le seul regret tient à ce que le renouvelle­ment de la série n’atteigne pas la sphère formelle, qui joue de manière globalemen­t rétro la carte d’une science-fiction grand public refusant parfois de grandir. Le succès de Doctor Who vient aussi de là, de cet étrange mélange entre une indéfectib­le constance et une totale perméabili­té au contempora­in. En France, puisque le temps paraît si long, nous attendons toujours de voir arriver madame Maigret.

Doctor Who Sur France 4

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