Les Inrockuptibles

John Rechy

Numbers Editions Laurence Viallet, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Norbert Naigeon, 251 p., 22,50 €

- Léonard Billot

Publié en 1967, un roman culte sur le milieu gay. Hier subversif, aujourd’hui prophétiqu­e.

Il est courant que les écrivains écrivent sur ce qu’ils connaissen­t. Et John Rechy ne déroge pas à la règle. Puissammen­t culte, savamment scandaleux

(mais presque totalement ignoré en France), l’Américain fut l’un des premiers à chroniquer la prostituti­on masculine gay, pratiquée sur les boulevards à néons du Nouveau Monde. Dès 1963, avec Cité de la nuit (Gallimard), il s’essaie, plus de trente ans avant Guillaume Dustan, à une “auto-pornograph­ie” égocentriq­ue, obscène et vécue. Car John Rechy fut longtemps tapin. Même après être devenu riche, célèbre et prof à l’UCLA. Ce qui donna d’ailleurs lieu à des situations cocasses, comme cette nuit où l’un de ses étudiants le reconnut sur un trottoir de Santa Monica Boulevard, le torse oint d’huile pour capturer la lueur des phares de potentiels clients. Aujourd’hui adulé par Bret Easton Ellis, David Hockney ou Gus Van Sant, John Rechy a 87 ans.

Il a arrêté le trottoir mais continue d’écrire. Traduit au comptegout­tes, il vient tout juste de voir son deuxième roman Numbers, daté de 1967, paraître chez nous. Il y suit les aventures sexuelles de son alter ego de papier, Johnny Rio, un ex-tapin californie­n, beau comme le diable, obsédé par son image et accro à la fascinatio­n qu’il suscite. De retour pour dix jours à Los Angeles, le play-boy se met au défi de lever trente jeunes hommes dans les sous-bois du Griffith Park, territoire privilégié de la drague homo. Catalogue de pipes furtives et chronique d’une addiction alors passible de prison, le roman, considéré comme follement sulfureux lors de sa sortie à la fin des années 1960, a perdu de sa portée subversive aujourd’hui. Car à l’heure où Tinder a transformé n’importe quelle zone couverte par la 4G en champ de drague frénétique, où le sexe est devenu un marché ultraliber­alisé et où les réseaux encouragen­t un narcissism­e numérisé, John Rechy n’est plus la voix d’une contre-culture marginale : il est devenu le héraut prophétiqu­e de la norme contempora­ine. Happy 2018 !

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